Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/661

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ce qu’il y a de faits connus sur la Turquie d’Europe et d’Asie depuis trente ans et jusque dans la crise présente ; le délabrement de l’empire, l’épuisement de la race conquérante et la difficulté pour elle de reprendre à une vie nouvelle se sentent et se montrent partout. Ce n’est pas seulement la barbarie qui a cessé, c’est la force.

Des documens incontestables, des lettres, des interventions de consuls européens dénoncent et tâchent de réprimer la férocité des milices mahométanes. Le sort de la population chrétienne est, dans les provinces et dans l’Asie-Mineure, aussi intolérable que jamais ; les maîtres sont plus odieux et plus faibles, les campagnes plus appauvries, la terre plus en friche et plus insalubre.

Il ne suffit donc pas seulement de sauver l’empire turc par le dehors ; il faudrait le régénérer à l’intérieur. S’il est un élément nécessaire à cette œuvre, une force qui puisse étayer le colosse chancelant, c’est la race chrétienne, première habitante du sol, qu’elle couvre sans le posséder, et où elle s’est accrue en dépit de ses souffrances. En majorité dans la Turquie d’Europe et l’Asie-Mineure, elle est aujourd’hui pour le sultan ce qu’aux mêmes lieux les chrétiens, à la fin du IIIe siècle, étaient pour les césars de Rome, de Nicomédie et bientôt de Byzance, un secours indispensable ou un poison mortel. Seulement, sous la conquête romaine unissant tous les peuples, entre les césars antérieurs à Constantin et les chrétiens de Grèce et d’Asie, il n’y avait que l’antipathie du culte ; mais entre la domination turque et les chrétiens albanais, arméniens et grecs, il y a la double antipathie du culte et de la race, demeurée d’autant plus distincte qu’elle était plus opprimée. Dans l’ancien monde, l’obstacle disparut par la conversion des césars à la foi religieuse du plus grand nombre de leurs sujets. Dans le monde actuel, l’obstacle pourra-t-il cesser par une autre voie, par un simple progrès de civilisation, qui rendra le mahométisme inoffensif et favorable pour ses sujets chrétiens, et le christianisme tolérant et docile pour ses maîtres mahométans ? Le problème est compliqué sans doute, mais il est invinciblement posé désormais. Quand l’Europe occidentale intervient sur le Bosphore et prend à sa garde les côtes et les villes de Turquie, quel que soit le motif de ce protectorat, l’émancipation locale des chrétiens doit en être la suite.

Par là même il était naturel que, dans les conditions de paix proposées, outre les restrictions maritimes, les cessions territoriales et autres précautions prises contre l’ambition de la Russie, on s’occupât d’améliorer, sous la garantie des autres puissances, l’état des peuples chrétiens compris dans l’empire turc. Immunités, droits