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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/668

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ne peut être évidemment très fondée à revendiquer au dernier instant les avantages d’une situation dont elle a elle-même d’avance décliné toutes les obligations. Est-ce enfin parce que la Prusse a signé le traité du 13 juillet 1841 qu’elle doit avoir nécessairement sa place dans les négociations ? C’est justement au nom de ce traité qu’on l’a incessamment et inutilement sollicitée d’agir. Tout ce qu’elle peut demander aujourd’hui, c’est que le traité nouveau n’affaiblisse pas les garanties que le traité ancien dans son esprit assurait à l’intégrité de l’empire ottoman.

Nous ne méconnaissons pas ce qu’il peut y avoir d’irrégulier dans un arrangement général conclu en dehors de la participation de la Prusse : ce n’est point là cependant un fait nouveau. En 1840 aussi, il y eut un traité considérable conclu par quatre puissances en dehors de la France ; cette situation dura une année. Il y a seulement une différence : c’est que la France avait alors une politique qui n’est point ici à juger, tandis que la Prusse n’a point eu de politique, et elle recueille aujourd’hui le fruit de son inaction. Dans tous les cas, si la Prusse est appelée à figurer au futur congrès, ce ne sera point vraisemblablement sans avoir pris la position de l’Autriche, c’est-à-dire sans avoir accepté l’obligation éventuelle d’une action collective, si par malheur tous les efforts en faveur de la paix venaient encore à échouer. C’est certes le moins qu’on puisse exiger en compensation du droit d’avoir une opinion dans les grandes affaires qui vont se débattre. Le cabinet de Berlin s’efforce, dit-on, depuis quelque temps de persuader qu’il a puissamment agi à Pétersbourg pour faire prévaloir des idées de conciliation. Cela se peut, mais alors on pourrait lui demander si c’est par intérêt pour la cause occidentale, ou pour ne point voir s’élever des questions qui l’auraient placé lui-même dans la plus singulière et la plus fausse des situations.

Quoi qu’il en soit de l’accession de la Prusse, la vraie, la grande et unique question est aujourd’hui entre les puissances alliées d’une part et la Russie de l’autre. Tous les cabinets, il faut le croire, entreront dans les négociations avec une même pensée, celle de faire prévaloir la paix et de l’asseoir sur de larges et durables fondemens. Sans qu’il y ait à se méprendre sur les divers mobiles qui ont pu diriger la Russie dans ces dernières circonstances, rien n’autorise à suspecter la bonne foi avec laquelle elle a accepté les propositions autrichiennes. Qu’elle cède à la nécessité, cela ne saurait être mis en doute ; mais il suffit qu’elle cède à cette nécessité avec la conviction qu’elle fait une chose utile à tous et à elle-même, — qu’elle se précipiterait vers de nouveaux désastres en continuant la lutte. Certes la bonne foi de la France peut encore moins être contestée. De toutes les puissances, la France est peut-être celle qui a montré les sentimens les plus concilians sans décliner les devoirs de sa politique ni les obligations d’une lutte gigantesque, et ce n’est point avec des sentimens différens qu’elle peut entrer dans les négociations. En est —il autrement de l’Angleterre ? On a pu supposer un moment, d’après le langage de la presse de Londres, que le peuple anglais ne voyait pas avec la même faveur l’adhésion de la Russie aux propositions autrichiennes ; mais ce langage n’a point tardé à se modifier, et dans tous les cas il ne pouvait certainement exprimer la pensée du gouver-