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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/670

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raison. Il reste, il est vrai, des charges de toute sorte, les charges normales et les charges extraordinaires de la guerre. D’après le rapport à l’empereur, il resterait dans les divers exercices financiers des découverts qui s’élèveraient pour 1854 à 70 millions, et pour 1855 à 50 millions. Quant aux dépenses de la guerre, elles sont couvertes, comme on sait, par les emprunts successifs qui ont été faits, et sur lesquels une somme de 500 millions resterait encore disponible. À la vérité, toujours d’après le rapport, il y a encore diverses dépenses à solder au compte de l’année 1855. Il est d’ailleurs une nécessité que reconnaît M. le ministre des finances, en constatant le développement matériel de la France : c’est celle de résister fermement aux entraînemens irréfléchis de la spéculation, de se borner aux travaux sérieux en ajournant les affaires qui n’ont pas un caractère évident d’urgence, et cette nécessité deviendra d’autant plus impérieuse au milieu des surexcitations que peut faire renaître la paix, si les espérances actuelles deviennent une réalité. Contenir les entraînemens irréfléchis et développer la force réelle, n’est-ce point toujours la même règle, qu’on l’applique au travail de l’industrie ou aux travaux de l’intelligence, les seuls qui puissent balancer l’immense essor des intérêts matériels ?

La littérature de notre siècle, dans la confusion même d’une vie éprouvée, a des signes distincts qui révèlent son caractère et ses tendances. Dans ce mélange d’entraînemens et de caprices, si l’on veut, il n’est point difficile de distinguer surtout un goût propre à l’esprit contemporain : c’est le goût des résurrections véridiques, de la peinture réelle, de l’analyse curieuse et pénétrante appliquée au passé. Dans le conflit des événemens, qui sont le côté général et abstrait de l’histoire, il y a l’homme qui s’agite avec sa nature ondoyante et diverse, héroïque ou tempérée, fine ou brutale. C’est cette étude de la nature humaine dans tous les temps et dans toutes les conditions que notre siècle recherche : à travers le politique, le soldat ou l’écrivain, on aime à retrouver l’homme vrai qui fut souvent inconnu de ses contemporains eux—mêmes ; on le rend à la vie pour ainsi dire à l’aide de documens patiemment recueillis. Ainsi vient de faire M. Jung dans un essai sur Henri IV écrivain, — essai qui n’a qu’un défaut, celui de trop ressembler à une thèse littéraire là où tant d’autres considérations s’élèvent naturellement. Le Béarnais, après la publication de ses lettres, peut se ranger dans cette tradition d’hommes de notre pays qui ont été toute leur vie des hommes d’action, et qui, en semant leur pensée au courant de leur existence ou en racontant des événemens auxquels ils avaient pris part, ont marqué de leur empreinte à un moment donné l’esprit et la langue. Ce n’est pas que le roi de Navarre soit absolument un écrivain, comme le ferait penser le titre adopté par M. Jung. Sa langue est un peu libre, sa manière d’écrire n’est pas toujours des plus correctes, même en considérant le temps ; mais ses lettres portent le cachet de l’homme, et cet homme était une des plus singulières natures du xvie siècle. On a recherché souvent les causes de la popularité de Henri IV : cette popularité tient à bien des causes, peut-être en partie aux défauts du Navarrais, et aussi surtout à cette circonstance supérieure, que ce petit prince du Béarn, d’humeur batailleuse et libre, devenu la vive et séduisante personnification de l’unité nationale, préparait en politique l’œuvre de Richelieu et de Louis XIV. Littérairement aussi il s’est trouvé que Henri IV préparait à sa