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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/696

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spectacle extraordinaire, des doutes naissent sur les choses qu’on était habitué à vénérer, et jettent un nuage sur les créations religieuses et même politiques du passé. Eh quoi ! peut dire un sceptique, voilà un homme notoirement connu pour le dernier des mécréans et des coquins, un homme d’une éducation vicieuse, d’une intelligence médiocre, d’une âme rapace et grossièrement sensuelle, un homme qui se recommande simplement par un appétit solide, un front d’airain, des doigts crochus et agiles, et cet homme réussit, non pas à voler une compagnie d’actionnaires ou à inventer un moyen subtil d’ouvrir les serrures, mais à fonder une religion et à entraîner sur ses pas de grandes multitudes qui révèrent son nom ! Il publie une fausse bible, on l’accepte pour vraie ; il se donne pour le prophète de Dieu, et il le fait croire sans trop de difficulté ; il établit des dogmes qui blessent tous les sentimens de liberté des Américains, et il trouve des Américains pour accepter ses dogmes ; il proclame la déchéance de la femme dans un pays où elle est plus véritablement souveraine que dans aucune contrée de l’Europe, et il se rencontre des femmes pour venir se remettre entre ses mains ! C’est le cas ou jamais de rouvrir son Voltaire et de rire avec lui de la sottise humaine.

Oui, le mormonisme, pour un sceptique non encore revenu des théories du XVIIIe siècle, peut apparaître comme la justification des railleries et des jugemens des encyclopédistes sur les religions. Allons plus loin, supposons que notre sceptique soit non-seulement imbu d’idées du dernier siècle, mais frotté de théories historiques à l’allemande. Il continuera d’argumenter ainsi. Voilà une secte qui est fondée sur les principes les plus faux et les plus immoraux du monde : observez cependant comme elle parcourt le même chemin qu’ont parcouru avant elle toutes les sectes et toutes les religions. Un homme se présente qui se dit envoyé de Dieu, il trouve des compères et des dupes ; mais ces compères et ces dupes éprouvent le besoin de toutes les sociétés, celui de s’étendre et de prospérer : ils se heurtent donc forcément contre les mœurs et les lois du peuple d’où ils sont sortis. Alors commence la persécution. Cette persécution, ils la supportent très courageusement, ils se laissent piller et tuer sans que leur fermeté faiblisse, et ils vont, loin des hommes, fonder un état dans des régions qui jusqu’alors n’avaient été l’asile que des bêtes fauves et des sauvages. Immoraux ou non, ces sectaires manquent-ils de la force d’âme, de la volonté, de l’intrépidité que donnent les grandes convictions ? Que leur faut-il encore pour être des martyrs et des saints ? Avec la persécution commence une nouvelle ère pour eux, l’ère légendaire. Attendez cinquante ans, et lorsque les futurs historiens mormons vous donneront les actes de leurs apôtres, vous verrez comment tel petit fait que vous avez lu