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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/702

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II. — CARACTÈRE DE SMITH, CE QU’IL REPRÉSENTE, POURQUOI
IL A RÉUSSI. — SES DISCIPLES.

Un fait infiniment curieux et original, c’est que la secte a hérité directement du caractère même de son fondateur. Tel prophète, tels disciples. Ce fait n’aurait rien d’extraordinaire, si Smith eût été un Moïse ou un Mahomet, c’est-à-dire un de ces hommes qui sont comme le résumé de toute une race, dont l’âme vaste et profonde exprime d’une manière claire, grande et éternelle les pensées que leurs compatriotes n’avaient jamais senties que confusément, et devient le moule idéal où s’arrête et se précise cette lave morale des passions, des instincts et des sentimens de tout un peuple, qui auparavant flottait indécise et au hasard. Que de tels hommes impriment à leur nation un caractère ineffaçable, rien n’est plus facile à comprendre, car ils sont le résumé le plus éclatant de leur nation, qui se reconnaît en eux et qui instinctivement fait effort pour ressembler à cette image parfaite d’elle-même. Ce ne sont donc pas seulement les vérités morales enseignées par de tels hommes que les peuples retiennent, c’est l’accent avec lequel ils les prononcent et le geste dont ils les accompagnent. En un mot, ils retiennent tout de leur prophète, l’âme et le caractère, les pensées et le corps que revêtaient ces pensées. Ici toutefois, dans le cas particulier à Smith, le fait présente quelque chose de réellement inexplicable ! Smith n’avait aucune vérité à exprimer, il n’avait aucun caractère moral digne d’attention. Sa personne n’avait rien de saisissant, les mensonges qu’il débitait, il les débitait mal, sans éloquence véritable, sans images, sans aucun génie. Il n’avait aucune de ces qualités qui parlent à l’imagination des masses. Eh bien ! miracle très digne d’attention, cet homme d’une telle pauvreté morale qu’il n’avait pour ainsi dire rien à donner à ses coreligionnaires, cet homme qui n’avait à son service qu’un front d’airain et une volonté très forte, c’est-à-dire les qualités et les défauts les plus individuels et les moins sympathiques, cet homme a imprimé à sa secte son cachet ! Joseph Smith vit tout entier dans son peuple : les qualités qu’il avait, ce peuple les a ; les défauts qu’il possédait, il les possède. Smith n’avait rien d’intellectuel, sa secte n’a rien d’intellectuel non plus, et ne s’élève pas, sous le rapport du talent, au-dessus de la moyenne la plus médiocre. Smith avait cette espèce de dévouement égoïste que donne la pratique de l’association, les mormons l’ont au plus haut degré. Smith avait une force de volonté réellement très remarquable, ce n’est point la volonté qui fait défaut à ses disciples. Smith mentait avec la fermeté d’un homme qui a compris qu’un des moyens de