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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/714

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toire véritablement navrante d’une femme qu’il avait enlevée, et qui résista aux larmes de son mari et au souvenir de ses enfans pour suivre dans ses pérégrinations le misérable aventurier. Cette pauvre femme devait avoir l’esprit un peu faible, mais Smith n’en avait par cette raison que plus d’empire sur elle, et cet empire était grand, si on accepte pour absolument vraie la scène qu’on va lire, et qui est écrite, comme tout le livre d’ailleurs, avec un accent si naturel que le doute nous semble impossible.


« M. Clarke entra. Il était extrêmement pâle et avait un visage triste et inconsolable : on aurait dit même que ses yeux gardaient des traces de larmes récentes. Il s’avança vers sa femme, qui détourna la tête.

« — Regardez-moi, Laura, dit-il. En quoi vous ai-je offensée ?

« — Vous êtes le serpent qui voulez me détourner de mon devoir, répliqua-t-elle.

« — Dites plutôt qui veut vous ramener à votre devoir. Vous avez une famille, c’est votre devoir d’en avoir soin.

« — Cela n’est pas.

« — Femme, vous êtes folle ! N’est-ce pas le devoir d’une mère d’avoir soin de ses enfans ?

« — Cela dépend des circonstances.

« — À quelle doctrine de démon avez-vous donc prêté l’oreille ? — Puis, changeant de ton et prenant celui de l’amitié et de la tendresse, il dit en lui tendant la main : — Oh ! venez, Laura, venez, allons-nous-en ensemble à la maison. Le pauvre petit Willie pleure tout le long du jour en appelant sa maman ; Caddy et Sarah étaient presque fous de joie lorsque je leur ai dit que je savais où vous étiez et que j’allais vous ramener. Oh ! Laura ! Laura ! je ne puis m’en retourner sans vous, je n’ose pas, j’ai peur d’être témoin du chagrin et du désappointement de ces pauvres enfans ; en vérité je ne le puis. — Et cet homme, vaincu par ses émotions, tomba à genoux. Mistress Bradish regardait d’un air solennel et grave ; mistress Clarke se couvrit le visage et trembla ; pour moi, je sanglotais tout haut. — Vous viendrez, n’est-ce pas ? dit-il enfin en se levant et en s’avançant vers elle.

« — Ne me pressez pas davantage, car je ne puis aller avec vous.

« — Est-ce là votre dernier mot ? dit-il quelque peu rudement.

« — Oui.

« — Ainsi vous n’avez aucun égard pour moi, aucune pitié pour vos enfans, aucun respect pour les liens solennels du mariage ! Pour un vagabond sans cœur qui vaut moins que les chiens errans dans les rues, vous abandonnez votre famille, votre foyer, vos amis ! Ne vous ai-je pas toujours bien traitée ? Ne vous ai-je pas fourni tout ce que vous pouviez désirer lorsque vous étiez en bonne santé ? Ne vous ai-je pas soignée lorsque vous étiez malade ? Ne vous ai-je pas gardée et défendue comme la prunelle de mes yeux ?

« — Vous l’avez fait, vous l’avez fait, dit-elle presque en sanglotant ; mais pourquoi me torturez-vous maintenant ?

« — C’est votre conscience qui vous torture, dit-il solennellement. Fasse