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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/716

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chassé d’état en état et de ne commander qu’à une bande de bohémiens partout repoussés, avoir en main les moyens d’imposer le respect ; il créa une milice sous le nom de légion des frères de Gédéon. Seulement il mit trop de précipitation dans toutes ses réformes, et il se mit trop en vue lui-même. L’orgueil lui fit oublier la prudence. Sa personne, sa doctrine et son peuple étaient exécrés des Américains, il le savait, et cet homme, qui était si difficilement toléré, eut l’imprudence de se poser hardiment comme un défi jeté à l’Amérique. Au lieu d’accomplir ses réformes à petit bruit, il les accomplit bruyamment. Il se présenta hardiment à la présidence de la république, et sa circulaire est un chef-d’œuvre de folie et de maladresse. Il y insultait à l’Amérique, la déclarait déchue et gangrénée, et annonçait que Dieu enverrait un ange avec un glaive enflammé pour la régénérer. Smith devait être cet ange. Les Américains rirent et s’indignèrent. Enfin, dans l’affaire Higbee, Foster et Law, il eut le grand tort de se faire juge dans sa propre cause ; il frappa trop fort, et on sait ce qui en advint. Bref, il se posait de plus en plus comme une menace, et il transformait peu à peu sa colonie en un camp retranché, lorsqu’arriva le coup qui le renversa.

Il est aisé d’apprécier la moralité de Joseph Smith ; ce qui est plus difficile, c’est de découvrir au juste l’article du code pénal qui aurait pu lui être appliqué. Les Américains le chargent de tous les crimes et l’accusent de tous les vices. Comme il faut faire la part de l’esprit de parti, nous nous contenterons de dire qu’il n’avait pas précisément l’innocence d’une vierge : nous en savons assez sur son compte pour être édifiés sur sa moralité. Qu’il fût de mœurs dissolues, cela est certain ; qu’il fût un menteur émérite, l’histoire de la bible d’or et des pierres urim et thumim le prouve suffisamment. Il fut banqueroutier, mais les états d’Amérique lui en avaient donné l’exemple. Fut-il faux monnayeur ? Cela est plus douteux. Ce qu’il y a de bien établi seulement, c’est que jamais la fausse monnaie, — qui a rendu le Missouri si célèbre, que les Yankees ont créé ce mot ironique pour exprimer les non-valeurs : Missouri currency, — n’a été plus abondante dans cet état que pendant le séjour des mormons. L’auteur du Mormonisme dévoilé l’accuse formellement d’avoir voulu enlever à main armée la femme du docteur Foster. La dame de Boston l’accuse non moins formellement d’infanticide, et laisse assez entendre qu’elle le soupçonne de meurtre sur la personne de mormons et de mormones récalcitrans.

La même obscurité règne sur ses disciples et ses successeurs. Nous pouvons diviser ceux-ci en deux bandes, d’abord les disciples immédiats, Sidney Rigdon, Harris, Cowdery, dont les plus grands vices, à tout prendre, nous paraissent avoir été l’imbécillité et la