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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/759

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éloigner ? — Question naïve, et qui prouve combien la sagacité de l’homme est aisément déroutée par la malice féminine !

Malheureusement le pauvre Hamid avait affaire à forte partie. À peine Ansha eut-elle jeté les yeux sur lui, qu’elle s’aperçut des soupçons qu’on lui avait inspirés. Elle interrogea les enfans et en apprit tout ce qu’elle voulait savoir. Elle ne les gronda pourtant pas, d’abord parce que le mal était fait, et ensuite parce qu’elle savait bien que la vérité ou du moins quelques fragmens de la vérité devaient se faire jour tôt ou tard, qu’elle y était dûment préparée, et que le moment lui semblait assez opportun pour affubler ces membres épars de la vérité du costume étrange qu’elle leur destinait. Elle fit un long récit destiné à justifier l’intervention de l’iman et à expliquer la guérison d’Hamid, livré, disait-elle, au démon de la folie, qui avait exigé pour proie, en l’abandonnant, une des femmes du bey quelque peu sorcière, Emina. Ansha s’attendait à des exclamations, à des réflexions, à des objections, pendant qu’elle débitait cette étrange histoire ; mais elle attendit en vain. Après quelques momens de silence, le bey déclara un peu sèchement qu’il regrettait de ne pas avoir connu plus tôt le véritable état des choses, mais que mieux valait tard que jamais, et qu’il s’occuperait incessamment d’éclaircir ce mystère. Il fit ensuite un petit mouvement de tête accompagné d’un gracieux sourire semblable à celui avec lequel les monarques d’Occident ont pour coutume de congédier leurs visiteurs. Ansha, qui le comprit, s’inclina profondément, et, marchant à reculons, elle se retira passablement intriguée.

— Que se passe-t-il dans son esprit ? — se demandait-elle à chaque instant. Une seule chose ressortait pour elle des paroles et des façons d’Hamid-Bey : c’est qu’il n’abondait pas dans son sens. En réalité, dans tout le galimatias débité avec une rare assurance par Ansha, le bey n’avait remarqué qu’une chose : l’iman s’était mêlé de ses affaires beaucoup plus que cela ne lui convenait, et une affaire dans laquelle l’iman avait trempé ne pouvait aboutir à rien de bon. Qu’Emina fût sorcière, il ne le crut pas un instant ; mais qu’elle pût être victime d’un tour de sorcellerie joué par l’iman, cela lui semblait infiniment plus vraisemblable. Ansha avait-elle trempé dans le complot ? Cela n’était pas impossible non plus. Son alliance avec l’iman la dépouillait comme par enchantement de tout son prestige, et une fois le soupçon et la défiance entrés dans l’esprit d’Hamid, ils devaient y croître et s’y fortifier d’autant mieux qu’ils en avaient été plus longtemps exclus. Le résultat de ses réflexions fut donc d’abord qu’Emina lui avait sauvé la vie et qu’elle l’avait soigné avec une tendresse incomparable, puis qu’elle