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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/783

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Tassilon, ivre de son importance, se voyait déjà l’arbitre du monde et le libérateur des Germains opprimés.

Tel était l’état des choses dans l’Europe occidentale et celui des esprits, quand Charlemagne, en 782, convoqua à Paderborn, près des sources de la Lippe, une diète de ses vassaux d’outre-Rhin. L’Allemagne était dans une assez grande fermentation ; de sourdes rumeurs couraient sur la réapparition de Witikind en Saxonie et sur les préparatifs cachés des Westphaliens. On s’attendait à une reprise d’armes pour la saison d’été qui allait s’ouvrir ; mais, contre toute prévision, la diète fut nombreuse et pacifique : aucun des chefs saxons n’y manqua, Witikind excepté, et ils n’eurent pour le roi des Franks que des protestations de fidélité et de respect. Sigefrid lui-même, ce roi de Danemark qui donnait ordinairement asile dans ses états à Witikind fugitif, envoya ses ambassadeurs à la diète, où leur présence ne causa pas un médiocre étonnement. La surprise fut plus grande encore lorsqu’on vit arriver les ambassadeurs d’un peuple qui n’avait jamais paru aux plaids des Franks, et qu’au costume de ses représentans, à leurs armes, à leurs cheveux tressés tombant en longues nattes le long de leur dos, on reconnut être le peuple des Huns. Ces hommes venaient au nom du kha-kan et du jugurre ou ouïgour, leurs deux magistrats suprêmes, entretenir le roi Charles des différends qui avaient existé et existaient toujours entre eux et les Bavarois sur la fixation de leur frontière occidentale. C’était là l’objet ostensible de leur mission. Suivant toute vraisemblance, ils en avaient un autre secret : ils venaient, comme les envoyés du roi Sigefrid, observer ce qui se passerait à la diète, sonder le terrain et se concerter, s’il le fallait, pour quelque alliance avec les ennemis des Franks. Ce qui est certain, c’est que leur liaison politique avec la Bavière data de cette époque. Ils exposèrent en public leurs droits ou leurs prétentions à la frontière de l’Ens. « Charles, disent les historiens, les écouta avec bonté, leur répondit prudemment et les congédia. »

La diète ne fut pas plus tôt terminée, Charlemagne et ses vassaux germains n’eurent pas plus tôt regagné chacun son pays, que les assurances de paix commencèrent à se démentir. Les Slaves des bords de l’Elbe et de la Sala firent des courses en Thuringe, et les Frisons se soulevèrent. Une armée franke partit contre ces derniers sous la conduite du comte Theuderic ; mais pendant qu’elle suivait sans trop de précaution la route qui longeait le mont Suntal, dans la vallée du Weser, elle fut assaillie par une multitude innombrable de Saxons ayant Witikind à leur tête. L’armée franke n’était point sur ses gardes, elle fut rompue, enveloppée, presque détruite : c’était l’histoire des légions de Varus dans le guet-apens de Teutobourg ; mais le vengeur ne se fit pas attendre. Charlemagne lui-même entra