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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/789

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réunissant. C’est là qu’on étudiait de préférence la vie du terrible conquérant, ses amours, ses femmes, sa mort tragique des mains d’une jeune fille germaine la nuit de leurs noces. Comment cette poésie amoureuse se mêlait-elle à la légende ? Simplement et sans apprêt, comme nous le font voir quelques restes de la littérature du temps. « Le grand roi Charles, dit le moine saxon poète et historien de Charlemagne, avait hâte de rendre aux Huns ce qu’ils méritaient. En effet, tant que cette nation fut florissante et dominatrice des autres, elle ne cessa de faire du mal aux Franks, témoin Saint-Étienne de Metz et tant d’autres églises livrées à l’incendie, jusqu’au jour où son roi Attila, frappé mortellement par une femme, fut envoyé au fond du Tartare….. C’était dans le cours d’une nuit paisible, quand tous les êtres animés sont ensevelis dans le repos ; lui-même dormait accablé de vin et de sommeil, mais sa cruelle épouse ne dormait point ; l’aiguillon de la haine la tenait éveillée, et, reine, elle osa accomplir sur le roi un attentat horrible. Il est vrai qu’elle vengeait par ce meurtre le crime de son père assassiné par son époux. Depuis lors la puissance des Huns tomba comme par un coup du ciel… Les défaites infligées aux pères et les outrages faits aux enfans stimulaient l’esprit du roi Charles, qui gardait au fond de sa mémoire les monumens des vieilles colères. »

Les préparatifs de la guerre durèrent près de deux ans, et quand Charlemagne eut réuni en Bavière suffisamment d’hommes, de chevaux, d’approvisionnemens de tout genre, il se rendit à Ratisbonne, où il établissait son quartier-général ; la reine Fastrade l’y suivit. Les épouses de Charlemagne n’étaient point, comme les sultanes de l’Orient, des femmes amollies dans le repos, faibles de corps et d’âme et destinées à vivre et à mourir sous les verrous : le soldat infatigable voulait des compagnes de ses travaux et des mères fécondes. Quand ces mérites leur manquaient, son cœur se détachait d’elles, et il les répudiait. Fastrade, qu’il avait épousée en 785, après la mort d’Hildegarde, était, malgré les défauts d’un caractère dur et hautain, une de ces femmes qu’il aimait, une confidente et parfois une conseillère utile dans les rudes labeurs de sa vie. Il l’installa donc à Ratisbonne avec les trois filles qu’elle lui avait données et qui étaient de jeunes enfans, et celles plus nombreuses et plus âgées qu’il avait eues de ses autres épouses et de ses concubines. Fastrade les soignait toutes également, sans jalousie comme sans prédilection, exerçant leur esprit et leurs doigts par des travaux variés, et filant au milieu d’elles. Charles avait voulu que son fils Louis, roi d’Aquitaine, alors âgé de treize ans, assistât aux opérations de cette guerre et y fît ses premières armes. Sous le léger costume aquitain, que son père aimait à lui voir porter comme un hommage rendu à ses sujets d’outre-Loire, on le voyait cavalcader au milieu des Franks bardés de