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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/824

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circonstances, et lui a fait voir plus aisément qu’à un autre la terre où elle n’était pas. On connaît le trait de la fable : « Je vois bien quelque chose, mais je ne distingue pas bien. » M. Wilkes prétend avoir vu le continent antarctique avant que Dumont d’Urville ait pris possession de la terre Adélie ; mais comme il ne nous paraît rien moins qu’évident qu’il l’eût parfaitement distingué, nous continuerons à croire que la priorité de cette découverte revient au capitaine français. Puisqu’il est démontré par maints exemples que les fausses apparences de terre égarent fréquemment les navigateurs dans les régions polaires, ce n’est pas sur de telles apparences seulement qu’on peut établir des droits à une découverte.

Sir James Ross a poussé la sévérité envers le capitaine, aujourd’hui Commodore Wilkes, jusqu’à envelopper d’une suspicion commune tous ses travaux, et à ne rien marquer des découvertes américaines dans la carte de la zone polaire qui accompagne son excellent livre intitulé les Mers du Sud. La défiance du navigateur anglais est allée jusqu’à l’injustice, et je n’en voudrais d’autre preuve que la coïncidence parfaite entre les contours de la terre Adélie de Dumont d’Urville et des mêmes côtes tracées par Wilkes. Sir James Ross n’a pu manquer d’être frappé par cette harmonie. Toutes les indications de Wilkes entre le 150e et le 100e degré ont un tel caractère de précision, qu’elles ne semblent pouvoir prêter à aucune incertitude, et même, en tenant compte des erreurs étranges qui marquèrent le début de son voyage, on laisse encore à Wilkes une part assez belle. Si l’on voulait, en résumé, faire celle qui revient à chacune des trois expéditions française, américaine et anglaise, on dirait que, dans ces campagnes, Dumont d’Urville a reconnu le premier le continent antarctique, que Wilkes l’a exploré sur la plus grande étendue, et que Ross a visité la partie de ses côtes la plus rapprochée du pôle.

Mais l’existence même de ce continent n’est pas encore hors de toute discussion : Dumont d’Urville y croyait sans vouloir prématurément lui donner un nom ; Wilkes le lui donna avant presque de l’avoir bien vu ; mais, est-il besoin de l’ajouter ? Ross est demeuré incrédule. Les terres découvertes par Biscoë, par Balleny, et même celles de Dumont d’Urville, n’ont pas, suivant lui, été explorées sur d’assez longues étendues pour qu’on puisse en déduire l’existence d’un continent. Quant à la ligne de côtes non interrompue tracée par le commandant américain, nous savons qu’il ne veut en tenir aucun compte ; il paraîtra pourtant à tous ceux dont l’esprit est, je ne dis pas un peu plus complaisant, mais un peu moins difficile, que toutes les terres, à partir de la terre Victoria de Ross jusqu’à la terre d’Enderby, semblent présenter une continuité assez naturelle,