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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/889

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se justifier : la statue placée dans la cour du Louvre suffit à leur défense. Quel argument pourraient-ils invoquer qui ne demeurât au-dessous de ce plaidoyer ? L’aptitude de M. Clésinger pour la sculpture monumentale est aujourd’hui appréciée par des milliers de spectateurs. À cet égard, toute discussion serait désormais superflue.

Quelque singulier que puisse paraître le choix de l’artiste en présence de l’œuvre qu’il nous a donnée, il ne faut pas oublier qu’avant l’épreuve décisive qui vient de dessiller les yeux, il passait pour très capable. C’est donc à lui-même que le public doit s’en prendre ; il recueille aujourd’hui le prix de son engouement. S’il n’avait pas loué sans réserve une figure qui n’avait d’autre mérite que l’exactitude littérale, il n’aurait pas devant lui une statue vulgaire, dont personne ne comprend la composition. La sculpture monumentale exige impérieusement des facultés d’une nature toute spéciale. Pour l’accomplissement d’une pareille tâche, l’habileté de la main ne suffit pas. Il ne faut pas seulement posséder une intelligence étendue, il faut encore avoir le goût de la méditation. Or, je le demande à tous les hommes de bonne foi, la Femme piquée par un serpent pouvait-elle être acceptée comme un gage suffisant ? Ceux qui ont accueilli avec joie la nouvelle d’une statue équestre commandée à M. Clésinger le croyaient sans doute ; ils doivent maintenant savoir à quoi s’en tenir.

Pour concevoir, pour exécuter la figure à laquelle M. Clésinger doit sa popularité, la méditation est parfaitement superflue. De quelque manière qu’on l’envisage, il est impossible d’y découvrir l’ombre même d’une pensée. Et si l’on veut prendre l’auteur au mot, si l’on cherche dans son œuvre l’expression de la douleur, on est obligé de lui donner tort, car la figure entière, empreinte d’un caractère lascif, ne laisse pas deviner la plus légère souffrance. Il est évident qu’elle n’avait pas de nom avant d’être achevée, c’est-à-dire, en d’autres termes, que l’intelligence n’a rien à démêler avec cet ouvrage. Or, quand il s’agit de représenter un personnage historique, l’intelligence est une mise de fonds de première nécessité. Le maniement de l’ébauchoir, dont je ne méconnais pas l’importance, ne satisfait qu’à demi aux exigences du programme. Les admirateurs de M. Clésinger vantent beaucoup la prestesse de son exécution : c’est sans doute un avantage toutes les fois que la prestesse se trouve réunie à la perfection de la forme. Si l’œuvre est imparfaite ou vulgaire, n’est-ce pas le cas de se rappeler la parole d’Alceste avant d’écouter le sonnet d’Oronte ? En sculpture comme en poésie, le temps ne fait rien à l’affaire. Ou viendrait me dire que la statue de François Ier a été modelée en six semaines, cette nouvelle ne me rendrait pas plus indulgent. Peut-être fallait-il une année de travail pour atteindre le but désigné ; les hommes du métier peuvent seuls décider cette question, qui n’intéresse pas le public. L’œuvre est-elle bonne ? répond-elle à sa destination ? Voilà ce qui l’inquiète. Si, pour justifier l’échec de l’auteur, on nous affirme qu’il a improvisé la statue de François Ier, cet argument restera pour nous sans valeur. Je n’admets pas même qu’on soit reçu à le produire pour défendre un mauvais sonnet écrit sur un album ; à plus forte raison, je dois l’écarter lorsqu’il s’agit de sculpture monumentale. Improvisée ou non, la statue de François Ier ne soutient pas l’examen, et si