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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/102

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l’intelligence que les traits du visage, et combien de portraits méritent cette louange?

David est mort le 5 décembre 1855. A-t-il réalisé le vœu qu’il avait formé dès sa jeunesse? A-t-il donné à la statuaire le rôle qu’il avait rêvé pour elle? Si l’on ne consultait que la popularité de son nom, on pourrait dire que son espérance a été comblée; mais, si l’on examine avec attention comment et à quel prix il a conquis cette popularité, il est permis d’affirmer qu’il n’a pas réussi dans son entreprise. Malgré son habileté prodigieuse, il ne lui était pas permis de changer les conditions de son art, et, pour l’accomplissement de son projet, il aurait fallu que ce privilège lui fût accordé. Il a répudié la tradition dans la seconde moitié de sa vie, pour se dérober à toute comparaison et donner au marbre et au bronze un accent tout nouveau. C’était une première faute, car il y aura toujours profit, même pour les plus habiles, à consulter les œuvres des maîtres. Vouloir ne relever que de soi-même est une prétention que le bon sens désavoue. Il s’est jeté dans l’étude exclusive de la nature, et dans ce champ, qui n’embrasse pas l’art tout entier, il a fait preuve d’une rare finesse. La pénétration de son regard, la dextérité de sa main auraient fait de lui un statuaire accompli, si, pour se placer au premier rang, il suffisait de bien voir et de bien imiter. Quant à la beauté proprement dite, qui se compose du choix des formes et de l’harmonie linéaire, je ne crois pas me tromper en disant qu’il ne s’en est jamais préoccupé. La nature était le seul conseiller qu’il interrogeait, et comme dans la nature tout n’est pas beau, comme pour choisir il faut délibérer, comme une heure de réflexion ramène aux maîtres de l’art, guides sûrs et fidèles, et que David avait rompu avec la tradition, il était condamné à ne produire que des œuvres d’une beauté incomplète. En suivant la route qu’il s’était tracée, était-il possible d’aller plus loin? Je ne le pense pas. Résolu à se renfermer dans l’imitation pure, il a épuisé cette donnée. Il ne comprenait pas la vie sans le mouvement, et sacrifiait tout à l’expression de cette conviction. L’élégance des formes le touchait moins que les signes de la force, et cette préférence explique pourquoi ses meilleurs ouvrages étonnent plus souvent qu’ils ne charment. L’œil contemple avec une avide curiosité toutes les parties du modèle vivant, imitées avec une adresse qui ne sera jamais surpassée. La curiosité une fois satisfaite, on se prend à regretter qu’une main si habile n’ait pas été guidée par un goût plus sûr et plus délicat, que tant de savoir ait été dépensé avec si peu de discernement, et le regret que j’exprime ici, je l’ai entendu exprimer par les admirateurs les plus sincères devant le Philopœmen, tant il est vrai que l’imitation pure n’est pas le dernier mot de l’art.