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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/14

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former de nouveaux établissemens, sans presque rien imiter des anciens ; car, d’agriculteurs qu’ils étaient autrefois, ces peuples étaient devenus pasteurs, les temps ne permettant guère d’enclore, d’ensemencer un terrain, tandis qu’ils pouvaient espérer de dérober leurs troupeaux à un ennemi dont le retour était toujours à craindre. On connaît le nom des deux chefs qui dans le xiiie siècle personnifient cette nouvelle prise de possession des plaines de Valachie et de Moldavie, Radul Négru et Bogdan, — premier degré de l’histoire moderne. Là recommence non plus la tradition, mais l’histoire attestée par des actes authentiques. C’est ce que le peuple nomme la seconde descente en comptant celle de Trajan pour la première.

Vous remarquerez que par cette immigration de Transylvanie en Valachie, la race roumaine commence par se démembrer en deux corps séparés : le premier, qui reste à l’ouest des Carpathes dans les retranchemens des colonies ; le second, qui se répand et déborde dans les plaines orientales. Une fois séparés, ces deux corps ne se réunissent plus. Dans ce grand fait qui domine toute cette histoire sont renfermées de graves conséquences, qui ne tarderont pas à se montrer.

Le plan des Romains de Trajan, comme je l’ai établi, avait été de former un seul état qui devait avoir pour base et pour citadelle le plateau central des Carpathes, pour rayonnement les vastes contrées environnantes. Ce premier plan venait de subir dès l’origine moderne une atteinte considérable. Il était sorti brisé du tumulte des Barbares. La race roumaine ne formait plus un seul bloc comme dans la pensée des fondateurs. La statue, d’abord entière, avait été partagée en morceaux par les invasions. D’un côté des monts de la Transylvanie se trouvait la tête séparée du corps ; de l’autre côté, le grand torse brisé en deux tronçons, Valachie et Moldavie. Tout l’effort de l’histoire des Roumains a été de refaire un même corps de ces membres dispersés.

Il faut avouer qu’à divers intervalles ces provinces ont été tout près d’y réussir, et elles ont été aidées principalement par deux hommes, Étienne le Grand et Michel le Brave, tous deux immortels, quoique inégaux, qui se sont suivis dans les mêmes traces à la distance d’un siècle. Sur quels fondemens ces deux hommes ont-ils posé l’état naissant qu’ils avaient reçu déjà plus qu’ébauché des mains d’Alexandre le Bon, de Mircea le Valaque ? Pourquoi leur construction n’a-t-elle pas duré ? Pourquoi une œuvre si hardiment commencée ne s’est-elle pas développée ? Qu’est-ce qui a empêché l’état de se maintenir et l’a poussé à une ruine prématurée dès que ces mêmes hommes n’ont plus été là pour le porter ? Voilà, je crois, ce qu’il est important d’examiner aujourd’hui.