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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/205

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N’était-ce pas en quelque sorte la jeunesse de notre XIXe siècle, une jeunesse ardente et studieuse? et ne jouissons-nous pas aujourd’hui encore des conquêtes morales que nous lui devons? M. Gervinus est trop disposé à oublier toutes ces choses.

Je sais bien qu’il n’est pas arrivé aux journées brillantes de la restauration. Ce premier volume contient quatre chapitres, la restauration des Bourbons, le congrès de Vienne, la réaction en Europe de 1815 à 1820, et le tableau de l’Autriche sous M. de Gentz et le prince de Metternich. C’est là certainement une attrayante et dramatique lecture; la première restauration, le miraculeux retour de l’île d’Elbe, les cent jours, la seconde restauration, sont décrits avec netteté. On ne peut lire sans intérêt les travaux du congrès de Vienne, objet d’une étude exacte et de rapprochemens lumineux. Le tableau de l’esprit public de 1815 à 1820 est une vaste toile où comparaît toute l’Europe, j’y signale surtout d’intéressans portraits littéraires, M. de Bonald et Joseph de Maistre, Chateaubriand et Mme de Staël, M. de Haller et les deux Schlegel, Schleiermacher et Schelling, Ugo Foscolo, Manzoni, Walter Scott; mais quelle singulière tendance à confondre ces écrivains si différens sous la bannière d’une même école! Et là même où le talent de l’auteur est le plus vif, à propos de Walter Scott par exemple, quelle inspiration défiante et chagrine! L’ardeur satirique éclate surtout dans la peinture de l’Autriche; j’abandonne M. de Gentz à M. Gervinus, et je laisse aux publicistes allemands le soin de décider si le portrait de M. de Metternich n’est pas tracé avec une exagération regrettable. C’est notre sympathie pour M. Gervinus qui nous engage à lui soumettre ces objections. Son livre est plein de pages éloquentes, il respire l’amour de la liberté et le sentiment le plus élevé de la moralité humaine; qu’il prenne garde d’en affaiblir l’effet par l’amertume de sa pensée. Ce n’est pas assez d’avoir confiance dans les destinées finales du XIXe siècle; pourquoi cette confiance ne jette-t-elle pas sur l’ensemble du récit ses bienfaisantes lueurs? Pourquoi ce ton d’hostilité qui ressemble plus à un ressentiment personnel qu’à la tranquille sévérité du juge? Un mérite que je suis heureux de signaler, c’est que M. Gervinus a souvent imposé silence à ses passions allemandes. En racontant les événemens de 1815, il écarte les souvenirs cruels; il n’en triomphe pas insolemment comme un soldat de Blücher et de Wellington; il a plutôt des sympathies pour les vaincus, et s’il ne le dit pas expressément, il comprend que c’est la révolution qui est vaincue avec eux. Recueillons ce précieux symptôme, et engageons M. Gervinus à chercher, à découvrir, à mettre en pleine lumière tout ce que l’influence immortelle de l’esprit de 89 produira de fécond en Europe, même dans la période des fausses promesses et des mensonges. À ces conditions-là seulement, il pourra nous donner, dans les volumes qui