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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/235

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mêlent les grandes et les petites choses, les faits surprenans et les incidens ridicules. Jetez les yeux sur ces immenses territoires depuis la Californie et New-York jusqu’au cap Horn, sur ces empires dépeuplés et dévastés comme le Mexique, sur ces îles convoitées et disputées comme Cuba, sur ces archipels que la civilisation n’éclaire encore que d’un jour douteux : la vie apparaît sous bien des aspects. Les États-Unis, ces dominateurs jaloux du Nouveau-Monde, remplissent la scène. Aujourd’hui cependant ils ne comptent aucun exploit inattendu. C’est tout au plus si le congrès de Washington a réussi à se donner un président après le plus laborieux enfantement. Pendant deux mois, les scrutins se sont succédé, et les forces des partis se balançaient si bien que toutes les combinaisons ont échoué. On a fini par recourir à un expédient bien simple en n’exigeant pour la nomination du président que la pluralité des voix au lieu de la majorité absolue. Si, comme l’a laissé croire un instant l’attitude hautaine et cassante du gouvernement de Washington, les États-Unis portaient une véritable passion dans leur querelle avec l’Angleterre, il est à croire que le congrès, c’est-à-dire l’assemblée populaire de l’Union, n’eût point passé deux mois à ballotter des noms dans une urne avant de s’occuper des affaires du pays. Il est vrai d’un autre côté qu’il s’agissait ici de la grande lutte qui divise les États-Unis, de cette espèce de duel engagé entre le nord et le sud. Ce qu’il y a de plus particulier, c’est que les partisans du sud, qui ont admis la pluralité des voix, parce qu’ils se croyaient sûrs du succès à la faveur d’une de ces candidatures improvisées au dernier moment, ont été battus en définitive. C’est un abolitioniste qui a triomphé par la nomination de M. Banks. Ce n’est pas seulement un abolitioniste, c’est un noir du Massachusets. M. Banks au reste, en prenant possession de la présidence, a prononcé quelques paroles de l’esprit le plus sage. Et maintenant voilà le congrès de l’Union constitué, non sans peine ! Les États-Unis sont le foyer de bien des bizarreries et de bien des expériences. Dans le nombre, il en est une qui nous touche presque comme un souvenir de nos dernières révolutions : c’est l’établissement de la république communiste d’Icarie à Nauvoo. On n’avait plus entendu parler depuis longtemps de cette Icarie, Elle existe pourtant sous la haute direction de son fondateur, M. Cabet. Seulement elle a le sort de toutes les républiques communistes : elle finit par la consomption, et voilà M. Cabet en disposition de faire un coup d’état pour réfréner les mauvaises passions et les intempérances de ceux qui se permettent de le critiquer. M. Cabet propose donc au peuple icarien une constitution nouvelle qui n’est autre chose que la dictature. L’Icarie fera peu de prosélytes aux États-Unis ; elle n’aura été qu’une épave de nos révolutions jetée par le mauvais temps au milieu des exubérantes agitations de cette vigoureuse race.

De toutes les aventures présentes du Nouveau-Monde, la plus étrange à coup sûr, la plus curieuse et la moins héroïque est ce qui vient d’arriver à sa majesté noire Faustin Ier ou Soulouque, empereur d’Haïti. Le fait est déplorable, mais il est certain : Soulouque a été battu, complètement battu, pour avoir trop aimé la gloire, et c’est à peine s’il a pu se retrouver lui-même dans sa défaite. L’empereur Faustin nourrissait depuis longtemps des pensées de guerre ; il voulait avoir sa grande armée et faire des conquêtes. L’ardent objet de sa convoitise était cette petite République Dominicaine, qui