Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses diverses productions. Franklin définissait l’homme l’animal qui sait se faire des outils. À ce point de vue, les plus simples et les plus vulgaires des instrumens dont nous nous servons tous les jours méritent notre attention. La pince ou tenaille avec laquelle nous saisissons un fer rougi au feu n’est-elle pas une addition précieuse à la main, qui ne pourrait manier impunément un métal incandescent ? La simple pincette du foyer domestique ne représente-t-elle pas deux doigts mécaniques qui ne craignent pas la brûlure ? Pourrait-on remplir sa main de charbons ardens comme on remplit une pelle à long manche, en évitant non-seulement le contact destructeur du feu, mais encore une proximité trop grande du foyer d’où l’on retire le combustible enflammé ? Pourrait-on, en frappant du poing, faire le travail qui devient facile avec le marteau ? On trouve dans Hésiode cette curieuse remarque, que les cyclopes, ouvriers admirables, avaient la force, l’activité et des machines pour aider leurs travaux. Dans Homère, Vulcain arrivant à sa forge fait souffler son feu par deux figures qui étaient évidemment des éolipyles, que l’on n’emploie plus aujourd’hui, sans doute parce que l’on a reconnu que l’air mêlé de vapeur d’eau brûle le charbon sans efficacité pour la production de la chaleur. Les curieux pourront voir dans la belle tragédie d’Eschyle, Prométhée enchaîné, tous les arts que ce titan, bienfaiteur des hommes, se vante de nous avoir donnés. Indépendamment du feu, qui auparavant était exclusivement réservé aux dieux, il mentionne l’art de bâtir, l’astronomie, la marine, les animaux soumis au joug, la médecine, et, chose remarquable, l’art d’écrire et la science des nombres. Il dit qu’en donnant le feu, il a donné tous les arts à l’humanité, mais il y avait encore bien loin du feu à l’électricité.

La galvanoplastie, c’est-à-dire la fabrication électrique d’une pièce métallique, est-elle une science, un art ou une industrie ? Se rapporte-t-elle à l’intelligence purement scientifique et métaphysique, ou bien doit-elle, comme la sculpture et la glyptique, être placée dans la brillante catégorie des beaux-arts, enfans privilégiés de l’imagination ? Doit-on enfin n’y voir qu’un métier utile, dont les produits s’adressent aux besoins de l’homme civilisé, comme tous ceux qui font refuser à ceux qui les exercent le titre d’artistes pour ne leur laisser que le nom d’artisans ou d’ouvriers ?

La galvanoplastie est à la fois une science, un art et un métier. Son origine purement scientifique est la physique de l’électricité. Par ses applications à la production de tous les ouvrages où la forme domine, c’est un art, de ceux que l’on appelle par excellence arts libéraux. Enfin, par ses produits industriels, c’est une laborieuse ouvrière. Tout le monde sent la différence qu’il y a entre la fabrication des objets de quincaillerie, l’argenture ou la dorure des bronzes et le modelage d’une statue, la reproduction d’une planche gravée avec tous les raffinemens de l’art le plus avancé.

Cette espèce de bilan qu’on a dressé de l’humanité en divisant les tendances prédominantes en intelligence, sentiment et besoins matériels, semble fondé sur l’observation des faits comme sur la nature intime de notre espèce. Les arts libéraux, qui tiennent le milieu entre les spéculations métaphysiques, accessibles à peu de têtes, et les travaux purement manuels, qui ne disent rien à l’imagination, sont ceux qui font l’honneur comme la félicité des nations civilisées tant par leur charme naturel que par leur influence