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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/285

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résulte d’une longue soumission, d’une contrainte forcée, de sentiniens refoulés et gênés dans leur expansion. La liberté n’a pas effacé dans cette âme les souvenirs de l’esclavage. L’auteur est évidemment encore soumis à une sorte d’oppression morale qui a survécu à l’oppression physique. M. Frédéric Douglas est un affranchi dans tout ce que ce mot peut avoir de plus honorable et de plus digne de sympathie. De là sans doute la contradiction que nous devons signaler entre ses discours et son autobiographie. Devant un public, l’orateur se sent soutenu, encouragé et excité ; il a autour de lui des auditeurs bienveillans et malveillans, des amis et des ennemis ; il parle donc sans contrainte. Seul avec lui-même, la plume en main, le souvenir de l’oppression exercée se dresse devant lui, et sa timidité reparaît. C’est l’effet naturel de toutes les oppressions de rendre l’homme plus hardi en face même d’une armée d’ennemis qu’en face d’un seul adversaire, par conséquent plus violent qu’énergique. Nous pensons que c’est là l’explication psychologique de la modération dont M. Frédéric Douglas a fait preuve dans son autobiographie.

La Promenade dans le sud ou l’Esclavage vu de près est écrit par un M. Parsons, et contient des détails intéressans. On peut en toute assurance s’appuyer sur son autorité, car ce livre est bien loin d’avoir le ton d’un pamphlet. On n’écrit pas avec plus de calme que l’auteur, et on ne raconte pas avec plus de froideur des scènes plus navrantes. M. Parsons est cependant un abolitioniste très décidé, quoiqu’il décline la qualité de garrisonite ; son calme et son sang-froid en présence de l’esclavage qu’il abhorre sont une confirmation de cette action latente des vieux préjugés qui règnent chez les hommes du nord à leur insu, et qui énerve toute leur force de sympathie. En revanche, durant tout le cours de sa promenade, M. Parsons se réjouit fort de ne pas appartenir au sud ; il est fier de sa qualité d’Yankee, et il ne laisse pas échapper une occasion de le déclarer ; il aime, chemin faisant, à donner aux habitans du sud des leçons de morale, d’activité, de bonnes vie et mœurs, et on ne sait en vérité si sa qualité d’homme du nord ne lui tient pas plus à cœur que sa qualité d’abolitioniste. Les hommes du sud lui font peur, et il faut dire que les traits qu’il leur attribue ne sont pas faits pour rassurer. C’est de son livre et de celui de M. Frédéric Douglas que nous tirerons certains détails caractéristiques et curieux sur l’esclavage aux États-Unis et sur la manière dont il fonctionne.

Une chose frappe tout d’abord, c’est le mystère qui entoure l’esclavage. Les esclaves sont-ils bien ou mal traités par leurs maîtres ? Les nègres sont-ils soumis à toutes les violences que l’on attribue aux planteurs ? Le nord l’affirme, le sud le nie ; les voyageurs européens diffèrent entièrement d’opinion à cet égard. Il est assez curieux