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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/290

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raconte les hauts faits, mérite aussi une mention toute spéciale. Elle avait deux femmes esclaves auxquelles elle faisait subir des traitemens si horribles que leur vue faisait pitié. Leur cou, leur tête et leurs épaules étaient littéralement couverts de déchirures, écrit M. Douglas. Cette horrible mistress Hamilton possédait une voix charmante, qui ajoutait encore par le contraste à l’odieux des injures dont elle accablait les pauvres filles. Assise sur un fauteuil, son fouet à la main, elle ne manquait jamais l’occasion de frapper ses esclaves, lorsqu’il leur arrivait de passer devant elle. « Plus vite donc, vilaine noire ! attrape cela, vilaine noire ! si vous n’allez pas plus vite que cela, je vais redoubler ! » tels étaient les chants suaves dont elle accompagnait ses distributions de coups de fouet. Du reste, il est remarquable que les femmes subissent encore plus violemment peut-être que les hommes les influences de cruauté qui émanent de cette institution. Leur nature sensible et impressionnable se déprave au contact de l’esclavage ; l’habitude des spectacles odieux exalte leur esprit comme la lecture d’un mauvais roman, car c’est un des plus tristes mystères du cœur humain que l’imagination rêve aussi facilement de supplices que d’idylles, et que la sensibilité serve merveilleusement les mauvaises passions de la haine et de la cruauté. Ce personnage du roman de Mme Stowe, mistress Saint-Clair, qui écrit de sa belle main l’ordre de fouetter ses esclaves, n’est point une exception, comme on le voit. La conduite de mistress Hamilton elle-même est souvent dépassée, et l’insensibilité de miss C… est fréquemment égalée. M. Parsons cite une scène qui fend l’âme. Tout un chariot part d’une plantation pour le marché aux esclaves ; des maris sont séparés de leurs femmes, des enfans de leurs pères ; tous pleurent et se font les derniers adieux, et pendant ce temps de jeunes filles blanches regardent paisiblement ce spectacle en causant entre elles. « Regardez, fait remarquer l’une d’entre elles à une camarade qui était en face d’elle, voyez donc ces nègres ! Quel tapage ils font ! Ne dirait-on pas que les nègres se soucient de leurs enfans ! Voyez comme Cuffee embrasse Dinah ! comme s’il ne devait pas avoir une autre femme avant huit jours ! »

Cependant la conduite de mistress Hamilton est le fruit de la dépravation et de cette cruauté puérile, chère aux femmes comme aux enfans ; l’insensibilité de ces jeunes filles est le fruit de l’habitude et d’une éducation vicieuse ; l’un et l’autre vice sont bien féminins. La jalousie tracassière et la haine dont les femmes blanches poursuivent les enfans des esclaves nés d’unions illégitimes avec les planteurs, ou les mulâtresses et quarteronnes objets des faveurs de leurs maîtres, se conçoivent facilement, quoique cette jalousie et cette haine dépassent souvent toutes les limites de l’humanité ; mais tous ces