Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux émotions de la guerre. Si intenses, si multipliées et si diverses qu’elles soient, elles le trouvent léger de cœur et d’esprit, léger comme l’alouette, dont César avait, à titre d’emblème du caractère national, fait reproduire l’image sur les casques de sa fameuse dixième légion, composée exclusivement de Gaulois, nos aïeux. Tandis que ces magnifiques régimens des gardes anglais, qui avaient déployé un courage si héroïque sur les hauteurs d’Inkerman, succombaient dans leur camp aux fatigues, à la faim, nous avions à côté d’eux, sur le plateau de la Chersonèse, des régimens composés d’hommes beaucoup plus jeunes, beaucoup plus faibles d’apparence, qui venaient de quitter les garnisons de France comme eux celles de l’Angleterre, qui n’avaient même jamais mis le pied en Afrique, comme le 39e de ligne par exemple, et qui cependant supportaient infiniment mieux que leurs alliés les privations et les misères de la Crimée.

Un fait à signaler encore, c’est la facilité avec laquelle la discipline semble s’être conservée dans toutes les circonstances au milieu de cette armée, qui a eu cependant de mauvais jours et de rudes épreuves à traverser. Nous avons bien quelquefois entendu parler, dans les journaux allemands, d’actes d’insubordination très graves, de révoltes même qui auraient éclaté dans nos régimens, mais jamais nous n’avons vu se confirmer en aucune façon ces rumeurs, inspirées par des sentimens peu bienveillans sans doute. Nous avons lu bien souvent, dans les correspondances anglaises, des doléances sur l’habileté des zouaves à la maraude; mais en réalité, dans aucun cas que nous nous rappelions, nous n’avons vu que nos soldats aient outrepassé les droits de la guerre, et nous n’avons pu attribuer le blâme qu’on cherchait à déverser sur eux à autre chose qu’au dépit de n’avoir pas su arriver à temps pour prendre sa part du bois, du vin ou des poules qu’ils étaient toujours les premiers à découvrir. D’ailleurs il ne nous souvient que d’une seule circonstance de cette guerre où il ait été commis des actes de pillage réels : c’était à Kertch, et ce dont nous nous souvenons très nettement aussi, c’est qu’à Kertch le pillage fut arrêté et l’ordre rétabli par quelques détachemens isolés de nos soldats ou de nos marins, notamment par les matelots du Phlégéton, agissant presque d’eux-mêmes et sans avoir besoin d’ordres supérieurs. Nous en appelons aux correspondances anglaises elles-mêmes. Loin qu’il soit faible, l’esprit de discipline a au contraire poussé de si profondes racines dans nos régimens, qu’il survivait, même dans la captivité, chez les prisonniers faits par l’ennemi. Les autorités russes, qui passent avec quelque raison sans doute pour être assez exigeantes sur ce chapitre, ont rendu à cet égard les témoignages les plus flatteurs pour nos soldats. Et cependant la discipline de l’armée française est dans