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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/391

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chances sont pour que, d’un côté, ces principes soient mal ou infidèlement appliqués par les représentans inférieurs de l’autorité ottomane, tandis que de l’autre ils seront regardés par les populations comme une arme de guerre contre les Turcs plutôt que comme la garantie d’un avenir de paix et de travail. Sans qu’il soit besoin de supposer qu’aucune puissance emploie son crédit à attiser les feux de la discorde, on doit donc s’attendre, si l’on n’y pourvoit, à des conflits, à des luttes qui seraient d’autant plus terribles, que nous avons mis des armes dans les mains de tout le monde. La plus vulgaire prudence ordonne de prévoir ces éventualités menaçantes et d’y parer. C’est un devoir que l’Europe a contracté vis-à-vis du gouvernement du sultan en l’entraînant dans ces voies libérales, mais hasardeuses ; c’est un devoir encore à l’égard de ces populations impatientes autant que souffrantes, ignorantes et aveugles autant que spirituelles, et douées du plus dangereux esprit d’intrigue. Or, pour conjurer ce péril, il n’y a qu’un seul moyen : c’est l’occupation de quelques points du pays par des troupes européennes pendant un temps au moins, jusqu’au jour où le développement des intérêts et l’apaisement des haines, sous l’influence libérale d’institutions sincèrement pratiquées par les gouvernés aussi bien que par les gouvernans, garantiront suffisamment à tous la paix publique. Cela semble si simple, si impérieusement exigé par les nécessités du jour, qu’on ne peut pas croire que les gouvernemens n’aient pas déjà songé à y pourvoir, et qu’il paraît inutile d’y insister.

Je m’écarterais du plan de cette étude si je recherchais aujourd’hui les moyens par lesquels on peut rendre la vie à l’empire ottoman, à ces magnifiques contrées où la tradition a placé le paradis terrestre. Le peu que je viens de dire, les problèmes que j’ai essayé de poser doivent suffire à montrer que la période de paix qui s’ouvre devant nous ne réserve pas à l’Europe des travaux moins glorieux et moins dignes de son génie que ceux de la guerre. Puisse-t-elle les comprendre et se dévouer à ces nouvelles œuvres avec le sentiment généreux du bien qu’elle y peut faire ! Puisse cet épisode de l’histoire, né d’une querelle entre peuples chrétiens qui se disputaient les lieux sanctifiés par la présence du Sauveur pendant son passage ici-bas, devenir le commencement d’une ère nouvelle qui verra tous les hommes rachetés par le sang du Christ travailler avec une émulation pieuse à rendre à cette terre d’Orient tous les bienfaits que nous en avons reçus !


XAVIER RAYMOND.