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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/400

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fut un livre original et hardi dans un temps où les idées de Volney et de Dupuis étaient celles de presque tous les esprits d’élite. Benjamin Constant considérait le sentiment religieux comme un fait naturel et universel; il abandonnait cette théorie médiocre et étroite qui ne reconnaît d’autre origine à la religion que la tyrannie ou la peur. Il voyait dans toutes les religions des faits humains sans doute, mais des faits légitimes et respectables, se perfectionnant avec le temps et avec le progrès de la raison humaine. Mme de Staël était dévouée aux mêmes idées; mais elle y mettait plus de passion et d’enthousiasme, et elle croyait à un rapprochement possible et prochain de toutes les communions chrétiennes.

En même temps, une nouvelle philosophie se formait, qui, rompant plus ouvertement encore avec les doctrines de Voltaire et de Condillac, retrouvait au fond de l’âme humaine les principes du spiritualisme et ranimait les plus grandes pensées de Leibnitz, de Descartes et de Platon. Elle défendait Dieu, l’âme, le libre arbitre, le devoir, l’immortalité. Les chefs de cette nouvelle école, Maine de Biran, Royer-Collard et M. Cousin, sont en possession de la renommée due à leurs nobles travaux; mais si l’on nous demandait quel est dans la philosophie contemporaine le représentant le plus fidèle et le plus original de l’esprit religieux au XIXe siècle, nous nommerions sans hésiter M. Jouffroy.

On a trop tôt oublié M. Jouffroy. Ce remarquable esprit est un de ceux qui témoignent le mieux de l’originalité de notre siècle. Au XVIIIe siècle, on doutait agréablement et en se jouant. Où trouverait-on à cette époque, Rousseau excepté, un homme à qui l’absence de foi ait inspiré quelque tristesse? Les gémissemens et les sanglots de Pascal paraissaient tout près de la folie. M. Jouffroy est un Pascal philosophe. Je ne les compare pas par le génie, mais par l’âme. Il est un de ceux qui ont douté avec le plus de sincérité, le plus d’ardeur pour le vrai, le plus d’élan vers les choses invisibles, le plus de regret des croyances perdues, le plus de déchirement et le plus d’espoir. Il a présenté ce spectacle remarquable d’une âme profondément émue unie à l’esprit le plus calme, à la raison la plus lente et la plus scrupuleuse. A le voir chercher le vrai, personne n’eût dit qu’il en ressentît le besoin avec une impatience si inquiète; à l’entendre poser les problèmes d’une manière si pathétique, on n’eût pas supposé qu’il pût en chercher la solution avec un esprit si tranquille et si patient. C’est cette contradiction apparente qui fit croire à quelques-uns qu’il s’était arrêté dans le scepticisme. Comme il était très hardi pour poser les problèmes et très prudent pour les résoudre, il paraissait éloigné de la solution par un abîme; mais cet abîme n’existait que pour ceux qui ne connaissent pas l’enchaînement des principes en philosophie. Il analysait avec un soin infini les données d’un