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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/426

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tellement épris de leur sénat que nous le regardions comme supérieur à cette chambre en énergie et en indépendance? Il y a à peine quelques semaines, je lisais un article du Moniteur, venu de haute source, sur le défaut d’initiative et de patriotisme de cet illustre corps qu’on appelle le sénat. Je n’ai quant à moi aucune disposition à réduire cette chambre aux proportions du sénat de France, et je crois que son caractère héréditaire est un de ses plus grands avantages. Le principe de l’hérédité fait partie intégrante de notre constitution; c’est un privilège que nous partageons avec la couronne, et par notre accord mutuel nous formons une barrière contre toutes les attaques dont la constitution pourrait être l’objet. Brisez ce principe, renversez cette barrière, et bien hardi celui qui osera en prévoir les conséquences. »

Lord Campbell soutient la même thèse constitutionnelle que son illustre collègue : « Nous n’avons pas dans ce pays, dit-il, d’autorité écrite, nous ne pouvons en appeler à des livres de loi copiés mécaniquement les uns des autres; notre guide, c’est l’usage, c’est la pratique delà constitution... »

Mais de tous les pairs d’Angleterre, celui qui entra le plus dans le vif de la question, celui qui maintint avec le plus de fierté, le plus d’énergie et le plus d’éloquence les privilèges de son ordre, fut le chef du parti conservateur, qui est en même temps le chef d’une des plus illustres familles de l’aristocratie britannique. Nous devons faire connaître les principaux passages de son discours.

« Je ne puis, dit lord Derby, garder le silence dans une pareille occasion, ayant l’honneur d’être l’organe de ce grand parti conservateur qui ne répond jamais mieux à sa mission que lorsqu’il défend la constitution contre des empiétemens violens, qu’ils viennent soit de la couronne, soit du peuple. Je ne saurais garder le silence, ayant moi-même l’honneur d’être le quatorzième représentant d’un comté héréditaire qui depuis quatre cents ans a sa place dans cette chambre, quand je vois les privilèges de la pairie attaqués par un acte qui n’a pas l’ombre d’un précédent depuis le temps où le premier de mes ancêtres est venu siéger ici...

« Je le déclare franchement, je n’ai aucun respect pour des prérogatives de la couronne qui remonteraient au-delà de l’année 1688... On prétend que pour être illégal, un acte doit être positivement défendu, que sans cela il peut être inconstitutionnel, mais très légal. Cela ne vaut pas la peine d’être discuté. Je vous défie de répondre à ces deux propositions : d’abord de prouver qu’il y a eu un seul précédent de ce genre depuis quatre cents ans, ensuite de nier qu’une pareille mesure soit de nature à modifier gravement la composition de cette chambre...

« Si vous permettez une fois à un ministre de créer seulement une pairie à vie, et de la tenir suspendue comme un appât sur la tête des héritiers du sang pour prix de futurs services, je dis que le caractère héréditaire de cette chambre est perdu, que sa place dans la législature est perdue, que son indépendance est perdue, et que vous feriez mieux d’abdiquer tout de suite