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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/458

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REVUE DES DEUX MONDES.

tion publique et extérieure, il y a l’action mystérieuse et permanente des intelligences et des imaginations. Celui qui voudrait étudier ces trente-quatre années de l’histoire de l’Italie au point de vue moral et intellectuel ferait indubitablement un travail plein d’attrait. Il aurait à ressaisir la nature de ce mouvement, les causes qui lui ont imprimé son caractère, et les circonstances dans lesquelles il s’est produit, surtout ses rapports avec la politique. Ce serait l’histoire tout entière de l’Italie. J’en veux seulement esquisser quelques traits avant d’en venir à Giovanni Prati, qui naissait à peine à l’origine de ce mouvement.

À la chute de l’empire napoléonien, les vieilles dynasties, appelées à remonter sur leurs trônes, ne surent mieux faire que de s’appuyer exclusivement sur leur vieillesse, comme si cette vieillesse était un élément de force. L’exil n’avait point changé leurs anciennes habitudes, et vraiment il n’y avait point à s’y méprendre, rien n’indiquait en elles un rajeunissement d’idées et de vues. La presse, qui n’avait point déjà ses franches allures sous le régime impérial, fut bâillonnée entièrement par les gouvernemens qui lui succédèrent. On se flattait tout au moins de l’avoir fait ; mais l’entreprise n’était pas facile. On avait dit à la littérature et aux écrivains : Vous êtes dans un Éden où il est un arbre dont il vous sera toujours défendu d’approcher, c’est celui de la politique. — Cela dit, tous les écrivains se donnèrent rendez-vous sous le noyer fatal de Bénévent, ceci, bien entendu, sans aucune intelligence secrète, sans préméditation aucune, sans le moindre accord préalable et conventionnel entre tant d’esprits mus par des idées si différentes. Manzoni et Pellico ne sauraient avoir le même but que Niccolini et Guerrazzi. Il est pourtant une heure de la nuit où ils se trouvent tous ensemble autour de l’arbre défendu. Manzoni relève et console l’homme, Guerrazzi lui souffle au cœur le désespoir. Le poète lombard s’élève si haut dans les régions de l’art, qu’il effleure à peine tout ce qui est du domaine restreint du temps et de la patrie. Cependant, après avoir lu l’Adelghis et les Fiancés, qui peut douter des sentimens nationaux de l’auteur ? Le romancier toscan perd de vue l’art, dont il ne s’est jamais fait peut-être une idée bien nette, pour n’avoir d’autre culte que celui de la patrie, et c’est cette muse qui lui donne les quelques bonnes inspirations qu’il a eues. La censure préventive, inventée par les gouvernemens pour mettre les écrivains dans l’embarras, se trouve bien vite embarrassée elle-même. Sur un point ou sur l’autre de cette péninsule, partagée en tant d’états différens, quelque voix s’élève toujours au moment où l’on croit le règne du silence assuré. Il surgit un nom sur lequel se fixeront bientôt les regards de tous les Italiens ! Quoi ! tant de mouvement et tant de veilles au palais Pitti, à la place Château, au Vatican, et voilà le doux Silvio Pellico avec ses Prisons, voici Leopardi avec ses strophes désespérées et ses dialogues des morts ! Plus loin, de la ville des Piombi et des Pozzi, Tommaseo vient apporter, lui aussi, son tribut littéraire à la patrie. Niccolini coudoie à Florence son compatriote Giusti, qui trouve un nouveau genre de poésie pour lancer ses sarcasmes contre les gouvernemens et la domination étrangère. Massimo d’Azeglio cherche dans l’heureuse issue du défi d’Hector Fieramosca un moyen de réveiller l’amour-propre national, tandis que Grossi chante les actions héroïques des Lombards à la première croisade. Toute œuvre, dans quelque région