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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/464

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REVUE DES DEUX MONDES.

« — Malheureux ! ne vous l’avais-je point dit ? Cette folle guerre ne pouvait qu’ouvrir des abîmes honteux à mon pauvre pays ! Le roi-soldat vient d’acquérir une belle gloire sur le champ de bataille !… — Majesté, trêve de reproches inutiles. Vous fûtes grand, soyez poli.

« — Tu as raison. Pauvre Albert ! triste jouet d’illustres tromperies ! De quel crêpe viens-tu de te couvrir, ô pensée de dix-huit ans ! La victime insigne est tombée, et c’est toi, fatale Novare, qui as servi d’autel. Maintenant il dirige son pas solitaire vers l’exil, et il va on ne sait où.

« Va, choisis un endroit tranquille, tu n’entendras pas un reproche de moi. La honte ne retombera pas sur toi, mon digne enfant, mais bien plutôt sur l’Italie. Regarde pour quelle contrée lu jouais ton épée et ton bonheur ! Quelle récompense on réservait à tant de foi !

« Ce malheureux et brave enfant de ma race t’a secouée, ô dormeuse ! Tu le trahissais, tu l’accusais, ingrate Italie ! Es-tu contente maintenant ? Sur l’Arno et sur le Capitole, on lui a enlevé son trône et son honneur. Présente donc tes poignets à la chaîne ; ta punition est terrible, mais juste.

« — Majesté, je ne sens que trop la justesse de vos reproches ; j’en ai la rougeur au front. Et maintenant que va dire l’Europe et le monde de nous, lâche troupeau ? On rira sous cape, comme on rirait en voyant un haillon exposé au soleil s’écrier : « Je fus un jour pourpre impériale ! »

« Majesté, le roi Victor est monté hier sur le trône de ses ancêtres ; ne pourrait-il point se faire qu’il eût à nous laver de la rougeur des injures reçues ? Ce jeune rejeton de Savoie a un cœur de lion dans la poitrine, et si la saison devient propice, le lion pourrait bien se réveiller.

« — Silence ! que le caduc maréchal ne t’entende pas au moins, lui qui tire maintenant de nos champs le fourrage pour ses chevaux !

« — Majesté, vous parlez en homme sage ; cependant ce fourrage est une honte : tant que l’on parle, on ne pense point à venger cette honte.

« — Silence ! tissons sans faire de bruit ; malheur à nous si la navette est trop bruyante ! Les belles journées reviendront. — Majesté, vous me consolez, tout espoir n’est donc pas perdu ? — Tais-toi, et ne te montre point trop curieux. Le coq et l’œuf sont encore dans le nid de l’Italie.

« Mais chassez une bonne fois les pharisiens rouges et noirs. Ce sont eux, ces charlatans du bonnet rouge et de l’Agnus, qui ont traîné jusqu’à la honte, par le fil de la marionnette, le royaume subalpin.

« Et toi, monarque qui viens de monter au sommet que ton père descendait tout à l’heure, toi qui as rajeuni mon nom, lion parmi tes légions, fais attention à bien choisir ta voie ; elle est inégale et trompeuse. Ne tiens pas compte des sourires, mais des cœurs ; arrache les masques et regarde aux visages…

« ….. Que ta mémoire se rappelle les douleurs d’à présent, et que ton regard soit toujours fixé sur les Alpes et sur la mer. Là où les roses poussent, cherche aussi à entretenir les lauriers. Aime les vaillans, honore les justes, et attends l’heure dans le silence. — Majesté, vos paroles me consolent !

« — Je te console ?… Et pourtant, si je ne me trompe, il y a peu de jours tu te montrais tout épris de la république. On aurait dit que son esprit avait envahi tous tes membres. Bien plus, dans un accès de fureur, tu m’as