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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/494

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avancé, la politique opposée voulut s’emparer d’un enseignement que ses tendances sceptiques avaient un peu compromis. Néanmoins M. William Hamilton, qui était alors professeur d’histoire générale, se mit sur les rangs pour la chaire vacante. Quoiqu’il eût encore peu écrit sur les matières philosophiques, la nature de son esprit aurait dû le désigner au choix de juges un peu clairvoyans ; mais John Wilson était porté par un parti puissant. Il s’était essayé avec succès dans les genres les plus divers. Poète, romancier, critique, il n’a été médiocre en rien, mais critique meilleur cependant que poète ou romancier. Les Épreuves de Marguerite Lindsay sont, je crois, le seul de ses ouvrages que l’on connaisse en France. Il a montré dans le Blackwood Magasine, sous le nom de Christophe North, le talent de mêler l’analyse à l’imagination, et cette verve humoristique tant prisée des Anglais. À ce dernier titre, il est éminent ; mais on peut douter que son esprit eût la méthode et la vigueur, la sévérité et l’indépendance, sans lesquelles il n’y a pas de philosophie. Ses opinions l’enchaînaient au torysme le plus absolu, et de bons juges lui ont reproché de transformer la foi religieuse en superstition. Cependant la hardiesse même de l’enseignement de Brown et l’intolérance de l’esprit conservateur, qui touchait à son déclin, servirent l’ambition de Wilson. Dugald Stewart, qui favorisait la candidature de M. Hamilton, résigna l’emploi dont il était resté titulaire, et Wilson lui succéda. « J’en suis affligé, écrivait Sydney Smith à Jeffrey. Si Walter Scott peut réussir à nommer un successeur à Reid et à Stewart, c’est la fin de l’université d’Édimbourg. Vos professeurs vont passer au nombre de ceux qui se disputent le prix dans cette course universelle de la bassesse et de la complaisance pour le pouvoir. »

Il n’y a pas deux ans que l’Écosse a perdu Wilson. Ses œuvres paraissent aujourd’hui, recueillies par son gendre, M. Ferrier, qui est lui-même professeur de philosophie. Nous apprendrons à connaître sa doctrine, et sans le placer, comme quelques-uns, au rang des premières gloires de son pays, on peut dire qu’il est un digne membre de cette génération brillante dont nous avons cité les principaux noms. Stewart est mort en 1828, presque à la veille du jour où la réforme devait ouvrir à la Grande-Bretagne une ère nouvelle. Cette heureuse révolution fut, comme presque toutes les révolutions politiques, peu favorable à la littérature, et surtout à celle de l’Écosse. Une partie de ses hommes distingués émigrèrent aux fonctions publiques. Le grand juge de la critique devint juge pour tout de bon, en robe et en perruque, sous le nom de lord Jeffrey. D’ailleurs, depuis bien longtemps, les rédacteurs de la Revue d’Édimbourg, à l’exemple de Brougham et de Horner, avaient abandonné le nord, et ce recueil n’était plus écossais que par son titre. Le mouvement