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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/59

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L’apparition de Ramus au Collège de France fut un événement. Des milliers d’auditeurs accoururent sur la place Cambrai, passant par le même chemin qu’avaient gravi autrefois ces armées d’ardens écoliers qui accompagnaient Abélard sur la montagne Sainte-Geneviève. Devant cette foule immense et diverse, où le clergé, le parlement, la cour, avaient leurs représentans, et qui cachait plus d’un adversaire attentif, Ramus déclara hautement ses desseins. Il venait ranimer la philosophie mourante, en lui rendant la méthode libre et généreuse de Socrate et de Platon. Assez longtemps les formules d’une logique stérile et sans vie ont enchaîné les esprits et desséché les âmes. Le jour est venu de quitter les disputes vaines et de secouer la poussière de l’école pour aller respirer l’air pur et la grande lumière de la belle antiquité. La philosophie n’est pas dans un seul livre, dans Aristote moins qu’ailleurs. Elle n’est pas même tout entière dans Socrate et dans Platon ; elle est aussi dans Homère, dans Virgile, dans Cicéron, dans les grands poètes et les grands orateurs, dans tout ce qui est pénétré d’une inspiration sublime, dans tout ce qui éclaire, échauffe et vivifie le cœur des hommes.

On se figure l’effet de telles pensées produites par un homme déjà célèbre, à deux pas de la vieille Sorbonne, en face de l’armée péripatéticienne des maîtres de l’Université. Ramus était éloquent. Tandis que la nouveauté de ses idées excitait les intelligences, il captivait l’oreille et l’imagination par le charme d’une élégance alors inouie. Avec beaucoup de chaleur et de grâce, il avait le don supérieur de l’homme qui enseigne, je veux dire l’autorité. Tous les contemporains sont d’accord sur ce point. « Ramus, dit Scévole de Sainte-Marthe, était surtout remarquable, lorsqu’on présence d’une foule immense d’auditeurs, il interprétait avec une grande dignité de geste et de langage les grands écrivains latins, et singulièrement Cicéron. »

Écoutons un juge sans complaisance, le spirituel et malicieux Brantôme : « Monsieur Ramus estoit un fort disert et éloquent orateur, et peu s’en est-il veu de semblables ; car il avoit une grâce inégale à toute autre qui secouroit davantage son éloquence… » Brantôme rapproche Ramus d’un autre professeur du Collège de France, le savant Turnèbe : « Monsieur Turnébus fut aussi un très sçavant homme en grec et en latin, mais non qu’il eust telle piaffe de parler en seigneur, comme Ramus. » Enfin voici un éloge qui efface tous les autres ; il est de la bouche d’Étienne Pasquier : « Ramus, dit ce grave et judicieux personnage, Ramus, en enseignant la jeunesse, estoit un homme d’estat. »

Le nouvel enseignement philosophique retentit au-delà de Paris et de la France ; il se répandit dans toute l’Europe. Un contemporain