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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/61

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le sien. Comparez ces deux époques, nous dit M. Waddington. De même que tous les philosophes du XVIIe siècle se partagent en cartésiens ou semi-cartésiens et anti-cartésiens, de même le XVIe siècle a ses ramistes, ses semi-ramistes et ses anti-ramistes, lesquels sont répandus sur la face entière de l’Europe, en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Suisse, en Italie, et jusqu’en Danemark, en Espagne et en Portugal.

Ce rapprochement est curieux sans doute, mais n’a-t-il pas plus d’apparence que de réalité? Je conviens que l’influence de Ramus offre pour ainsi dire une grande surface; mais a-t-elle eu beaucoup de profondeur? En un mot, Ramus fut-il autre chose qu’un grand homme d’école? Je ne le crois pas. Quand M. Waddington proclame Ramus le plus grand philosophe du XVIe siècle, il est clair qu’il ne pense ni à Montaigne ni à Rabelais. Il prend le mot philosophe dans son sens le plus strict. Eh bien! soit; mais à ce compte le XVIe siècle nous présente encore des hommes tels que Vanini, Pomponace, Campanella, Telesio, et surtout cet infortuné jeune homme, mort à trente ans, sur un bûcher, au champ de Flore, qu’un sentiment exalté des grandeurs de l’esprit moderne avait enivré, en qui débordaient l’esprit, la verve, l’imagination et l’enthousiasme, — le défenseur de Copernic, le platonicien novateur, le noble, l’ingénieux, l’éloquent, le chimérique et sublime Giordano Bruno.

Pour être élevé au-dessus de tant d’esprits supérieurs, qu’a donc fait Ramus? Je le demande à son exact et habile interprète. A-t-il, comme Descartes, attaché son nom à quelque grand mouvement d’idées? Non. A-t-il jeté dans le monde quelque système original? Pas davantage. A-t-il du moins ranimé quelque grand système, comme Bruno a fait le platonisme alexandrin? Non. Quel est donc le titre philosophique de Ramus? Je n’en vois plus qu’un seul dont on puisse le gratifier : c’est d’avoir été l’inventeur ou le promoteur d’une méthode. Ramus en effet a écrit sur la dialectique; il a combattu l’Organon d’Aristote et célébré la méthode de Socrate et de Platon.

Est-ce ainsi que M. Waddington entend les choses? Je dirai alors que si Ramus avait en effet inauguré une méthode nouvelle, ou seulement ranimé une ancienne méthode tombée dans l’oubli, je consentirais à le voir rapprocher, sinon de Descartes, qui a bien d’autres gloires avec celle-là, au moins de Bacon. Et en effet il pourrait y avoir une certaine grandeur à substituer au syllogisme d’Aristote la dialectique de Platon, cette méthode si souple, si libre, si hardie, si éminemment propre à la découverte et à l’invention; mais il faut le dire, tout en admirant avec transport Socrate et Platon, Ramus les connaît peu et les entend mal. J’ose assurer qu’il n’a jamais soupçonné la véritable portée de la dialectique platonicienne. Écoutez-le quand il célèbre ce qu’il appelle la véritable méthode : « Il n’y a