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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/64

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particulier d’admiration qui ne s’attache qu’à la grandeur du génie. Je lis avec curiosité, quand je parviens à les rencontrer, ses rares et précieux écrits, surtout sa Dialectique, le premier ouvrage de philosophie qui ait été écrit en langue française; mais je me donne bien de garde de les placer à côté du De Augmentis, et moins encore à côté du Discours de la méthode et des Méditations.

En général, le XVIe siècle a beaucoup remué d’idées; il n’a rien fondé en philosophie. Cette gloire était réservée au siècle suivant, à Bacon et à Descartes, à Descartes surtout. Voilà un résultat qui vient d’être placé au-dessus de toute contestation sérieuse par un livre excellent et durable, l’Histoire de la philosophie cartésienne, de M. Bouillier. On a reproché à l’auteur sa prédilection pour Descartes, et on l’a accusé d’injustice envers Bacon. Ceci est un vieux procès entre l’Angleterre et la France; aujourd’hui que les deux peuples marchent unis, il est aisé de se délivrer de tout préjugé national, et de trancher la question en la ramenant à ses véritables termes. Certes Bacon est un grand esprit, et il mérite l’éloge magnifique que lui donne Walpole d’avoir été le prophète de toutes les vérités que Newton est venu enseigner aux hommes. Célébrez ce puissant initiateur, admirez l’Instauratio magna, programme grandiose des travaux futurs de l’esprit moderne; c’est à merveille, mais après tout il a manqué à Bacon quelque chose d’essentiel pour se placer à côté de Descartes et lui disputer le titre de père de la philosophie moderne : il lui a manqué l’esprit d’invention, le don supérieur des grandes découvertes, en un mot le génie créateur. Bacon est en possession d’une admirable méthode qu’il décrit avec précision, qu’il célèbre avec enthousiasme, qu’il prêche en apôtre éloquent; mais il n’en fait aucun usage mémorable : aussi a-t-il eu peu d’influence, même dans sa patrie, même sur Locke et sur Newton. Au contraire, l’influence de Descartes a été incomparable, parce que Descartes était essentiellement un génie créateur. Non-seulement il a fait des découvertes partielles que l’on peut comparer à celles de Galilée, et qui supposent une sagacité extraordinaire, telles que l’explication de l’arc-en-ciel et la loi de réfraction; non-seulement il partage avec Pascal l’honneur des expériences sur la pesanteur de l’air, mais il a fait ce que n’ont pu faire ni Pascal ni Galilée : il a créé des