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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/677

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dal qu’il soit, le moyen âge, ses terreurs, ses superstitions disparaissent ; il n’y a plus de fantôme ; il ne reste devant nous qu’un homme tourmenté de la soif de connaître, et qui aspire de toutes les forces de son âme à la vérité. La vertu d’Hamlet, c’est, je crois, aussi le signe élevé et glorieux, le caractère dominant de l’homme moderne, dont nous parlons beaucoup, mais qui est fort difficile à définir : c’est l’amour de la vérité pure, de la vérité en elle-même et pour elle-même, de la vérité contemplée sans voiles, dépouillée de toute enveloppe et de tout symbole matériel, nue comme lorsqu’elle sortit des puits de l’antique Grèce. C’est là le principe immuable au milieu de toutes les vicissitudes historiques, immobile et résistant au milieu de toutes les oscillations et incertitudes de la pensée, qui soutient l’âme humaine depuis trois siècles. C’est à ce principe aussi qu’on doit l’accélération du mouvement d’activité infinie, imprimé par le christianisme à l’âme humaine. Dans Hamlet, nous avons pour ainsi dire le point de départ de cette accélération, ralentie par la nuit et les obstacles pendant tant de siècles. De là l’agitation fébrile, les incertitudes, les appréhensions de ce personnage, dont l’âme est entraînée par un mouvement qu’elle ne peut modérer ni guider. Il est le premier de cette chaîne électrique qui relie les hommes des derniers siècles ; il a ressenti la secousse imprimée par l’étincelle avec la même force que nous, qui sommes nés d’hier. Tout à l’heure nous avons vu qu’il marquait une date, un moment de la vie d’un siècle ; maintenant il marque aussi une date, mais c’est celle d’une nouvelle ère de l’histoire humaine, de la plus récente et de la dernière peut-être.

Cet amour de la vérité pure et nue, cette ardeur à briser les enveloppes et les symboles, à chercher les réalités qu’ils cachent, cette haine de l’apparence ne sont pas seulement les qualités métaphysiques et scientifiques des temps modernes. Ces sentimens constituent une manière de vivre, non pas, il est vrai, pour le vulgaire troupeau humain, mais pour l’élite humaine, — non pas encore pour les nations, mais pour les individus. Ils constituent une manière de vivre, car ils raffinent la conscience, la remplissent de scrupules, et donnent à la pensée plus d’élan et plus d’amour, sinon plus de force qu’autrefois. Ils créent un langage subtil, inquiet, tourmenté, mais plein de ressources, et qui partout devient plus capable de saisir les nuances les plus ondoyantes de la pensée. Ils affectent la vie idéale et matérielle à la fois, et rendent naturellement le bonheur plus difficile et la satisfaction de l’âme moins paisible. Ils multiplient nos chimères et nos rêves, en nous dégoûtant successivement de chacune et en augmentant les exigences de nos imaginations. Ils affectent même jusqu’au tempérament, et donnent à l’élément ner-