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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/685

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ont aimé et suivi le poétique auteur des Harmonies dans sa carrière lui reprochent cette abdication volontaire de ce qui fit le prestige de son génie. Certes, rien n’est comparable à cette plainte attristante par laquelle M. de Lamartine ouvre ce qu’il appelle son Cours de Littérature. Nul détail ne vous sera épargné ; vous aurez les nudités du foyer, les obligations criantes, les besoins impérieux, la fin morne d’une existence commencée dans la gloire. Son génie, M. de Lamartine l’abandonne ; les rôles qu’il a joués sur la scène publique, il les livre à l’histoire. S’il eût été de la religion de Caton, dit-il, il y a longtemps qu’il eût invoqué la mort du stoïcien. Les mobilités du peuple l’ont dégoûté de la politique.

Que reste-t-il donc de l’homme d’autrefois ? M. de Lamartine le dit lui-même en se comparant à l’obscur manœuvre, au casseur de pierres qui poursuit son labeur vulgaire sur le chemin pour rapporter le salaire du soir. Voilà le dénoûment lamentable d’une grande carrière, et le langage plus lamentable encore d’un poète sur sa propre existence ! Il vient cependant à l’esprit une réflexion bien simple. Qu’a-t-il manqué à M. de Lamartine pour se faire une autre destinée ? Quel souffle contraire l’a précipité sur cet écueil où il se plaît à décrire son naufrage ? Tout ce que les autres hommes sont obligés de conquérir, il l’a eu sans effort par le bienfait de sa naissance ou par le privilège d’un génie heureux. Homme, il a trouvé l’opulence dans son berceau, il a été entouré de toutes les prodigalités de la fortune ; poète, il n’a eu qu’à paraître pour subjuguer les imaginations et les cœurs. Nul n’a obtenu plus d’enthousiastes et aveugles admirations, et, on peut le dire, nul n’a trouvé moins de rudesses sur son chemin. Lorsque la pensée lui est venue d’entrer dans la vie politique, toutes les portes se sont ouvertes devant lui, toutes les barrières se sont abaissées, et même plus d’une fois les agressions se sont adoucies. La plus grande critique fut souvent de lui dire qu’il était un éminent poète. N’était-ce pas une grave injure ? M. de Lamartine a-t-il enfin la fantaisie de jouer un rôle dans une révolution ? Il a été pendant deux mois le véritable souverain de la France. Tout lui a donc souri, tout a été faveur pour lui. Il a eu le génie, la fortune, la sympathie de ses contemporains, et même l’éclair d’héroïsme dans la tempête. Aussi M. de Lamartine n’accuse-t-il pas les hommes, il n’accuse que le sort. Le sort ! le mot est bientôt dit ; mais il se trouve justement que c’est le sort qui a comblé M. de Lamartine de tous les dons, et que c’est lui-même qui a détruit de ses propres mains l’œuvre de la fortune bienfaisante. Telle est la moralité qu’il faut recueillir : c’est que le sort n’est rien ici, et que les hommes sont les véritables ouvriers de leur destinée. Heureuse ou malheureuse, ils l’ont faite ainsi, et, sans refuser ce qui est dû de sympathie attristée aux amertumes d’une situation douloureuse, on ne peut oublier aussi qu’il est trop souvent arrivé à M. de Lamartine de conspirer avec la foudre, ainsi qu’il l’a dit un jour dans une image plus poétique que rassurante.

L’histoire intime des esprits et des talens est par elle-même l’histoire la plus curieuse. Dans quelle atmosphère ces talens sont-ils nés ? De quelles influences et de quelle substance vivent-ils ? Vers quel point souvent invisible et inconnu se dirigent-ils ? Ils marchent, ils ont leurs périodes de passion et d’affaissement, ils sont gracieux ou énergiques, capricieux ou austères. Quel est le secret de leur originalité ? Quel rapport y a-t-il entre leur na-