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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/694

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ne nous montrons jamais que comme nous voulons être vus ; nous avons raison en cela, cette surveillance sur nous-mêmes nous profite. Cependant il y a une grande différence entre l’effort que nous faisons sur nous-mêmes pour paraître du bon côté dans notre correspondance ou dans notre conversation, et l’artifice inévitable qu’emploie tout homme qui fait ses confessions devant la postérité ou qui écrit ses mémoires. L’homme qui cause ou qui correspond avec ses amis ne songe pas à sa vie tout entière et à l’idée qu’il veut en laisser aux générations futures ; il songe tout au plus à la circonstance et au moment. L’homme qui fait ses mémoires arrange le portrait qu’il veut faire de lui-même. Rousseau, dans ses Confessions, veut dire la vérité, je n’en doute pas ; mais il y a deux sortes de vérité : la vérité de la vie ou de nos actions, et la vérité telle que la voit notre imagination. Nous nous faisons tous de nous-mêmes un modèle idéal que nous tâchons d’imiter, et, comme malheureusement nous ne pouvons pas toujours atteindre à ce modèle, nous voulons au moins en laisser une image après nous. Cette image n’est pas ce que nous avons été ; elle est ce que nous aurions voulu être, ce que nous trouvons en nous-mêmes, dans notre caractère, et ce que nous n’avons pas pu exprimer dans notre vie. De ce côté, cette image est vraie sans être réelle. Telle est la vérité des Confessions ; celle de la Correspondance se rapproche beaucoup plus de la réalité, et c’est pour cela que je la préfère.

Cette réalité aussi bien n’est pas défavorable à Rousseau, et l’homme que nous voyons dans la Correspondance vaut souvent beaucoup mieux que le personnage qui nous est montré dans les Confessions. D’abord un des bons sentimens qui se trouvent dans ses lettres et qui contredisent fort ses Confessions, c’est qu’il ne faut pas faire confidence au public de ses sentimens intimes. « Comme ce que j’ai eu de plus estimable, dit Rousseau à M. Moulton, a été un cœur très aimant, tout ce qui peut m’honorer dans les actions de ma vie est enseveli dans des liaisons très intimes, et n’en peut être tiré sans révéler les secrets de l’amitié, qu’on doit respecter, même après qu’elle est éteinte, et sans divulguer des faits que le public ne doit jamais savoir. J’espère pouvoir un peu causer avec vous de tout cela dans nos bois, si vous avez le courage de venir ce printemps. » Comment donc Rousseau, qui ne voulait parler des aventures de sa vie qu’avec un ami et dans les bois, s’est-il décidé à faire de ses aventures et de ses sentimens un récit pour le public ? Cette contradiction s’explique par les progrès de la vanité, progrès presque irrésistibles dans le cœur de tout homme qui voit l’idée qu’il a de son mérite justifiée par l’admiration publique. Comment ne pas un peu se croire dieu, lorsqu’on se voit adoré, et quand surtout le siècle ne