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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/763

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vait quelquefois dissimuler son penchant à l’avarice, mais qui ne le détruisait pas. Mme de Fougerolles n’avait pas d’enfans. Le baron, qui était un homme de plaisirs, l’avait fort négligée pour courir les aventures. Mariée, elle vécut dans le célibat, et veuve elle en voulut à tout le monde de l’indifférence de son mari. Elle arrivait chaque année à Moulins vers le mois d’avril, et descendait chez son beau-frère, qui deux ou trois fois lui confia sa fille ainée pour la conduire à Paris. En l’absence de Mme de Fougerolles, qui ne donnait jamais plus de vingt francs aux domestiques après un séjour de quatre ou cinq mois chez M. du Rosier, Alexandrine et Louise étaient placées sous la direction d’une institutrice ; mais le gouvernement de la maison appartenait à Mlle du Rosier, qui savait y maintenir à la fois un ordre sévère et une grande abondance en toutes choses.

Telle était la situation de la famille du Rosier au mois d’avril 1852, quinze jours après l’arrivée de Mme de Fougerolles. Cet hiver-là, M. du Rosier avait donné plusieurs grands dîners et deux bals qui avaient éclipsé ceux du receveur général.

Parmi les jeunes gens qui, pour nous servir d’une expression consacrée à Moulins quand il s’agissait de Mlle du Rosier, aspiraient à la main de l’héritière, et on aurait pu en compter une douzaine, il en était deux qui se détachaient de la masse comme les vedettes d’un escadron en campagne. L’un de ces prétendans s’appelait Anatole de Mauvezin, et l’autre Évariste. Eux seuls paraissaient avoir quelque chance de réussir auprès de la jeune fille. Anatole appartenait à l’une des familles les plus considérables de l’arrondissement, qui voulait le pousser dans la magistrature, où les émolumens ne sont jamais bien élevés. Une bonne dot n’était donc pas à dédaigner. Évariste avait quelques liens de parenté éloignée avec Mlle du Rosier et une position indépendante. Tous deux semblaient l’aimer également ; mais un observateur intelligent n’aurait pas tardé à démêler que l’un mettait son esprit seulement, et l’autre, Évariste, tout son cœur dans cette affaire. Ce même observateur aurait bientôt découvert aussi que la personne la plus intéressée à bien choisir donnait la préférence à M. de Mauvezin.

M. de Mauvezin était ce qu’on appelle communément un bel homme ; il avait la taille haute et bien prise, de grands yeux noirs, une profusion de cheveux qui frisaient naturellement, les traits fermes et réguliers. À cheval, le sabre au poing et la cuirasse sur le dos, il aurait été superbe ; mais cette enveloppe magnifique ne cachait rien. « Il ne faut pas le gratter,… il n’y a que l’écorce, » disait M. Deschapelles. C’est pourtant ce dont Mlle du Rosier, malgré sa vive intelligence, ne s’apercevait pas. Pourquoi cette nature élégante, spirituelle, et qu’on pouvait accuser, non sans raison, d’être