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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/765

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elle aimait à se plonger. Elle était comme une prisonnière échappée à la mort ; il lui semblait toujours qu’elle avait à redouter les poursuites de cette ennemie, mais elle ne s’en effrayait pas, et se préparait à cette rencontre avec une résignation dans laquelle le courage d’une chrétienne se mêlait à l’innocence d’un enfant. Louise n’avait ni la beauté, ni l’éclat d’Alexandrine, mais tous les sentimens, toutes les émotions se peignaient sur son visage, et lui prêtaient une expression dont rien ne pourrait rendre le charme et la séduction. Les deux sœurs s’aimaient tendrement ; seulement l’une commandait, comme l’autre obéissait, sans le savoir, et quand on parlait de Mlle du Rosier, c’était toujours d’Alexandrine qu’il s’agissait. On connaissait à peine la sœur cadette en dehors des amis intimes de la maison, et ceux-là croyaient qu’elle n’atteindrait pas sa majorité.

Le petit roman noué entre Mlle du Rosier et M. de Mauvezin durait déjà depuis huit ou dix jours, lorsqu’une autre valse procura à celui-ci l’occasion de porter la question sur le terrain plus sérieux du mariage.

— Je ne veux rien faire sans votre agrément, dit-il ; si j’ai le bonheur de vous obtenir, c’est à vous seule que je veux le devoir.

Mlle du Rosier trouva ces sentimens pleins de délicatesse ; ils étaient seulement pleins de prudence et d’habileté. M. de Mauvezin savait, à n’en pas douter, que toutes les demandes adressées directement à M. du Rosier avaient été repoussées ; mais ce qu’on lui avait dit de la tendresse du père pour la fille lui permettait de croire que si Alexandrine se chargeait des négociations, le succès en était assuré.

— Eh bien ! répondit Alexandrine, voyez mon père… Un avocat sera près de lui pour défendre votre cause.

Ce n’était pas là tout à fait ce que désirait Anatole, mais l’invitation était trop directe pour qu’il pût l’éluder.

Mlle du Rosier ne dormit pas de la nuit. L’aveu qu’elle avait fait implicitement à M. de Mauvezin ne laissait pas de la troubler beaucoup. Elle s’étonnait que sa fierté ne l’eût pas mieux défendue contre son propre entraînement, et cependant elle était joyeuse de sa confusion. Elle assistait en esprit à la visite de M. de Mauvezin et lui soufflait ce qu’il avait à dire ; quand la fatigue lui faisait fermer les yeux, elle se voyait en robe de dentelle avec le voile blanc des mariées dans la cathédrale de Moulins, où une grande foule s’agitait, et elle se réveillait en sursaut. Elle s’irritait de sa propre émotion et ne parvenait pas à la dominer. La jeunesse était cette fois plus forte que sa volonté. L’insomnie dura toute la nuit avec des intermittences de rêves bizarres, mais jamais Alexandrine ne fut si heureuse.

Un jour se passa, puis deux, puis quatre, et son père ne lui parla