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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/773

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unique espérance s’était brisée d’un seul coup ; elle ne voyait devant elle que l’incertitude et la nuit. Pendant que ces réflexions traversaient son esprit, Alexandrine était accoudée sur la cheminée devant une glace, le menton dans sa main. Elle leva les yeux et se regarda. La vue de ce visage tout blanc, qu’illuminait la clarté de deux bougies, lui fit presque peur. Il lui semblait que c’était celui d’une autre personne, qu’elle ne connaissait pas. Les yeux étaient tout grands ouverts, le front mat ; les cheveux en désordre pendaient le long des joues. Elle se regarda longtemps, comme si elle eût cherché à lire dans son propre cœur. Le silence et la nuit l’entouraient ; la lettre d’Anatole était sous sa main.

— Je suis belle, dit-elle tout à coup à demi-voix, je suis intelligente, rien n’est perdu !

Le son de sa voix la fit tressaillir. Elle passa la main sur son front et se réveilla comme d’une hallucination ; mais sa résolution était prise.


II.

La liquidation de M. du Rosier ouverte, quelques créanciers se présentèrent. En faisant valoir les droits qu’elle tenait de sa mère, Alexandrine pouvait sauver du naufrage une somme importante. Mme de Fougerolles l’engagea vivement à le faire, et ne négligea pas cette belle occasion d’accuser son beau-frère d’imprévoyance et de prodigalité. Sur ce point toutefois, Mlle du Rosier ne voulut rien entendre : elle déclara que tout ce qui lui revenait appartenait légitimement aux créanciers de son père, et leur en fit immédiatement abandon. La baronne jeta les hauts cris, mais toute la ville admira ce trait de délicatesse et de désintéressement. Ce fut tout de suite un concert d’éloges autour de Mlle du Rosier ; le notaire lui-même avoua que cette conduite était noble et généreuse ; cependant il plissa le coin de ses lèvres en parlant, et finit, pressé de s’expliquer, par déclarer qu’à son sens cette conduite lui avait été inspirée bien plutôt par la tête que par le cœur. — Elle est fille de l’orgueil, dit-il. Mlle du Rosier tient à honneur de ne ressembler à personne. — Il profita néanmoins de l’occasion pour lui rendre visite et lui offrir ses services en qualité de vieil ami de la famille. Alexandrine, qui se souvenait de l’avoir vu fréquemment à une époque où une circonstance, née du hasard, ne l’avait pas encore brouillé avec M. du Rosier, le reçut parfaitement. Il revint enchanté de leur conversation. Tout en elle l’avait ravi, le choix de ses expressions, le tour de ses idées, la fermeté de ses sentimens. Seulement, comme on vantait autour de lui la noblesse de son maintien, sa grâce, son esprit, sa distinction : — Oui, oui, dit-il, c’est un caractère !