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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/778

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lui dit-elle, que cela ne vous inquiète pas, mademoiselle : j’ai de petites économies, et je la paierai.

Une fenêtre s’ouvrit ; on vit apparaître la tête de Mme de Fougerolles, et Mme Ledoux se sauva.

Quand Mlle du Rosier entra dans la salle à manger, Mme de Fougerolles était avec le maire du village, qui était venu la voir au sujet de certaines réparations à faire aux chemins vicinaux, pour lesquels la baronne devait des prestations en nature. Alexandrine ne s’était pas encore assise que sa tante lui présenta la note.

— Qu’est-ce que cela ? lui dit-elle.

La voix était si cassante et si brève, que Mlle du Rosier releva la tête avant d’ouvrir le papier.

— Mais regardez donc ! reprit Mme de Fougerolles.

— Ah ! je sais, répondit Alexandrine… c’est le mémoire de mon parfumeur.

— Ah ! vraiment !… c’est donc pour vous tout cela ?

— Oui, madame… pour moi seule.

Mme de Fougerolles s’empara de la note.

— Cinquante francs ! comprenez-vous cela ? s’écria-t-elle en s’adressant au maire, cinquante francs de pâtes et de flacons !

Le maire, qui pensait à ses prestations et désirait que Mme de Fougerolles s’acquittât, leva les mains au ciel en signe d’étonnement.

— Cinquante francs ! reprit-il, c’est beaucoup d’argent. Le rouge monta au visage de Mlle du Rosier.

— Permettez, monsieur, dit-elle, il s’agit de mes affaires et non des vôtres.

— Ah ! c’est comme cela que vous prenez les observations ! ajouta Mme de Fougerolles. J’imagine alors que vous avez de l’argent pour solder vos fournisseurs.

Mlle du Rosier comprit que la lutte commençait ; si elle ne voulait pas être écrasée du premier coup, il fallait résister.

— Je n’en ai pas… vous le savez, dit-elle en se redressant ; mais il me reste deux ou trois petits bijoux que je tiens de ma mère, votre sœur, madame. Je les vendrai, et le produit me servira à payer ce mémoire.

Mme de Fougerolles se mordit les lèvres.

— Fort bien, mademoiselle, reprit-elle ; mais puisque nous sommes sur ce chapitre, permettez-moi un conseil qu’autorisent mon âge et ma position. Vous portez des robes de soie et ne vous gênez pas pour les traîner dans toutes les allées du parc… Quand on n’a pas de fortune, on pourrait, ce me semble, porter des robes moins coûteuses, surtout quand on a dix doigts pour ne pas s’en servir.

Mlle du Rosier était pourpre, elle devint blême.