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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/786

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tout ce qui reste de tendresse en moi vous en remercie ; mais, dites, que feriez-vous d’une pauvre fille qui ne sait pas même si elle aura jamais la force d’aimer sans avoir non plus l’honnête hypocrisie de vous le cacher ? On m’a raconté que les louves blessées se sauvent au fond des bois, et que là, dans un isolement sombre, mornes, irritées, farouches, elles attendent la guérison ou la mort. Il me semble, — ne riez pas, — que je suis un peu semblable à ces louves ; quelque chose de sauvage est en moi, qui gronde et menace toujours. Vous tenteriez vainement de me guérir ; le temps n’est pas venu…

« Il faut que ma résolution soit bien arrêtée pour avoir pu résister aux prières de l’ange qui dort près de moi, et dont j’aperçois dans l’ombre le sourire endormi. C’était là le cœur qu’il vous fallait, Évariste, un cœur tout pétri de tendresse et de bonté, mais Dieu ne l’a pas voulu.

« Aussi longtemps que vous resterez près de moi, vous trouverez ma main prête à serrer la vôtre. Vous serez l’ami secret de mes pensées… Si vous partez, je n’ai pas le droit ni la volonté de vous retenir. Je ne sais pas si l’heure sonnera jamais où je pourrai vous dire : restez ! mais bien souvent vous serez attendu et regretté, et si loin que vous alliez, mon souvenir fidèle vous suivra.

« Adieu, Évariste, et toujours au revoir, quoi qu’il arrive. Je vous envoie le baiser d’une amie et les deux mains d’une sœur. »

Après qu’Alexandrine eut terminé cette lettre, elle la signa, le cœur ému, mais la main ferme. Cependant Évariste, en cherchant bien, eût découvert la trace d’une larme tombée auprès de la signature.

III.

Quand Évariste et Louise eurent quitté La Bertoche, tout rentra dans le silence autour d’Alexandrine. Mme de Fougerolles comptait avec Mme Ledoux le supplément de dépenses auquel le séjour des deux jeunes gens l’avait entraînée, et y trouvait le sujet de mille récriminations auxquelles, par certaines insinuations qu’elle saisissait au passage, Mlle du Rosier voyait bien qu’elle n’était pas étrangère ; mais les mots perfides et les allusions méchantes glissaient sur elle, comme l’eau sur un caillou. Elle avait pris le parti de ne répondre qu’aux attaques directes. Cette impassibilité agit sur la baronne par la durée ; elle avait pu voir que sa nièce était d’un caractère inflexible, et si elle ne l’en aima pas plus, elle l’en estima davantage. En dehors de sa vanité mélangée d’avarice, Mme de Fougerolles était une femme qui avait du mouvement dans l’esprit et quelque instruction. Alexandrine avait beaucoup lu, et son intelligence montrait quelquefois des clartés soudaines qui étonnaient par leur vivacité.