Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/792

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mme de Fougerolles se leva à demi.

— Ah ! vous voulez retourner à Moulins. Et qu’y ferez-vous, s’il vous plaît ?

— J’y trouverai bien quelques amis de ma famille, Évariste et M. Deschapelles par exemple, qui me prêteront quelque argent, avec quoi j’établirai un magasin de lingerie sur la place de la Lice. Mon nom sera sur l’enseigne. On me connaît à Moulins, et la nièce de Mme la baronne de Fougerolles ne manquera pas d’avoir la meilleure clientèle de la ville.

— Vous feriez cela ? vous !

— Certainement,… à moins que je ne préfère entrer chez Mme la marquise de Bonneval, qui est toute prête à me confier l’éducation de ses deux petites filles. Elle me l’a proposé pour le jour où je quitterais l’hôtel de madame la baronne. Ce jour est arrivé.

Mme de Fougerolles était écrasée. L’alternative de voir sa nièce lingère à Moulins avec son nom sur l’enseigne d’une boutique, ou institutrice chez une dame de ses amies, épouvantait sa vanité. Elle connaissait assez Mlle du Rosier pour être convaincue qu’elle n’hésiterait pas à le faire. Quel scandale ne serait-ce pas, et quels beaux discours ne ferait-on pas sur les causes de cette séparation ! On en parlerait à Paris, on en jaserait à Moulins, et Mme de Fougerolles prévoyait bien que tout ce bruit ne serait pas à son avantage. Il fallait à tout prix empêcher Mlle du Rosier de mettre son projet à exécution, mais là était la difficulté.

— Vous me donnerez bien huit jours ? dit-elle en s’efforçant de sourire.

— Quinze, si madame de Fougerolles l’exige, répondit froidement Alexandrine.

Le dîner et la soirée se passèrent comme si aucune discussion n’avait eu lieu entre Mme de Fougerolles et Mlle du Rosier. Elles étaient vis-à-vis l’une de l’autre comme deux armées dont un armistice a suspendu les hostilités. Quelques personnes vinrent en visite ; Mlle du Rosier ne laissa rien voir de la résolution qu’elle avait prise, et ce n’était pas là une des choses que Mme de Fougerolles redoutait le moins. La gaieté qu’elle montra en diverses circonstances et l’aisance avec laquelle elle parlait des devoirs qu’il faudrait remplir avant de retourner à La Bertoche lui donnèrent même à penser que sa nièce avait entièrement renoncé à son projet, et que les choses demeureraient dans le même état ; mais le soir, en rentrant dans son appartement, elle trouva sur la cheminée les clés de la maison que Mlle du Rosier avait fait remettre par une femme de chambre, et elle retomba dans toutes ses perplexités.

On était alors à la fin du mois. Le lendemain et les jours suivans, Mme de Fougerolles fut dérangée à toute heure par les fournisseurs,