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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/795

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jour !… J’ai trempé mon visage et mes mains dans de l’eau froide pour calmer cette fièvre. Rentrée au salon, Mme de Fougerolles m’a demandé d’écrire à M. de Mauvezin pour l’engager à dîner. — Nous le taquinerons, m’a-t-elle dit. J’ai écrit et signé. La plume ne tremblait pas, mais quel travail acharné sur moi-même, et quels efforts ! »

« Samedi, 15 avril.

« M. de Mauvezin est venu. L’histoire de ce mariage n’était qu’un bruit. La personne dont il était question n’a, tout compte fait, que deux cent cinquante mille francs de dot. Le reste n’est pas sûr. Il a parlé de cette rupture comme il eût parlé de l’opéra nouveau ; mais, en forme de péroraison : — Ah ! si l’on pouvait écouter son cœur ! a-t-il ajouté. Et il m’a regardée. J’ai eu la force de le regarder aussi. On ne sait pas quelle puissance il y a dans le verbe vouloir. J’avais le cœur sur les lèvres, et j’ai souri comme une ingénue de la Comédie-Française. »

« Vendredi, 21 avril.

« J’ai reçu hier une lettre de Louise. Quelle âme blanche ! Je n’ai pu la lire sans penser à Évariste. Lui aussi m’a écrit l’autre jour. Ils m’écrivent souvent tous deux, et je trouve une douceur infinie dans cette correspondance, qui me rapproche de ce que j’aime et me rappelle d’autres temps. Évariste attend mon retour à La Bertoche, après quoi il partira pour l’Espagne. Il ne peut s’y décider avant de m’avoir revue. Il n’y a pas un mot d’amour dans sa lettre, et l’amour transpire à chaque ligne. J’ai senti que mes yeux se mouillaient en la lisant, et par un mouvement involontaire je l’ai portée à mes lèvres. J’ai rougi, et j’étais seule !… Si je m’étais trompée ? Mais non ! On n’accepte pas de telles épreuves quand on n’est pas poussé par une implacable volonté ! »

« Jeudi, 27 avril.

« M. de Mauvezin, qui a eu avis de notre prochain départ, est venu pour nous faire ses adieux. Il demandera un congé pour voyager cet été. — Si vous le permettiez, m’a-t-il dit, je passerais par La Bertoche. — Le château est à Mme de Fougerolles, lui ai-je répondu… Je ne doute pas qu’elle ne soit charmée de recevoir votre visite. — C’est vous que je veux revoir, c’est donc à vous de m’accorder cette permission, a-t-il ajouté. — Cette conversation m’a rappelé celle que nous avions eue au bal, à Moulins. J’ai eu froid dans le dos. M. de Mauvezin a donc bien peu de mémoire !… Je me suis inclinée sans répondre. — Eh bien ! a-t-il repris, j’irai… — Oh ! qu’il vienne ! qu’il vienne ! »

« Mardi, 2 mai.

« Demain, nous partons ! Dans deux jours j’embrasserai Louise !