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était impossible de savoir ce qu’elle pensait. Avec lui, elle était polie toujours, quelquefois avenante, jamais troublée. Elle ne fuyait pas plus le tête-à-tête qu’elle ne le recherchait. Deux ou trois fois M. de Mauvezin, en l’entendant discuter des projets de voyage, put croire qu’elle avait entièrement oublié la demande qu’il lui avait faite. Cette situation, toute nouvelle pour lui, mêlée aux mouvemens d’un amour d’autant plus vif qu’il était plus inquiet, devint un supplice de tous les instans. Le douzième jour, ne pouvant plus en supporter la violence, il supplia Mlle du Rosier de vouloir bien s’expliquer.

— C’est fort délicat, dit-elle : Mme de Fougerolles m’aime beaucoup certainement ; cependant je ne sais rien de ce qu’elle compte faire à l’occasion de mon mariage.

— Eh ! mademoiselle, que m’importe ? s’écria M. de Mauvezin, vous êtes tout pour moi.

— Ah ! fit-elle avec un singulier sourire.

Pendant un instant, l’angoisse de M. de Mauvezin fut inexprimable. Cette fois la parole avait été plus prompte que la réflexion. Peut-être le lendemain se serait-il repenti de ce qu’il avait dit, mais alors il avait obéi à la première impulsion.

— Eh bien ! reprit Mlle du Rosier, s’il en est ainsi, parlez à ma tante, j’y consens.

Mlle du Rosier avait l’attitude d’une reine ; mais M. de Mauvezin ne vit que son triomphe, et dans l’excès de sa joie il ne perdit pas une minute pour faire sa demande à Mme de Fougerolles. Le consentement fut accordé le soir même. M. Deschapelles, mandé à La Bertoche dès le lendemain, s’enferma dans le cabinet de la baronne, avec laquelle il travailla toute l’après-midi. Retenu à dîner, il s’approcha de Mlle du Rosier pour lui faire son compliment, mais le malin vieillard la regardait en riant par-dessus ses lunettes.

— Bien joué ! lui dit-il tout bas… à présent il faut voir le cinquième acte.

Mlle du Rosier lui rendit regard pour regard, mais sans répondre. Le soir, elle écrivit à Évariste pour le prier de revenir au plus tôt.

« J’ai pris une grave résolution, mon ami, lui disait-elle, je vais me marier ; mais dans cet instant, qui décidera de ma vie entière, je veux vous avoir près de moi. Donnez-moi cette preuve suprême d’affection. Il me semble que je marcherai plus heureuse vers l’autel, si ma main a pressé la vôtre… Venez donc, Évariste, je vous attends. »

La première fois que Mlle du Rosier reparut dans Moulins en calèche, ayant à son côté Mme de Fougerolles et devant elle M. de Mauvezin, elle éprouva une émotion indéfinissable, où l’orgueil entrait pour une large part. Tous les yeux la suivaient ; elle avait la