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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/825

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annonçant son prochain départ[1], lettre que le consul jeta sur la table en déclarant qu’il ne se prêterait jamais à servir d’intermédiaire pour faire connaître une décision hostile à la Russie. L’hospodar, décidé à rompre la glace, envoya la lettre le lendemain au prince Gortchakof, en le priant de la faire parvenir à son adresse. S’il espérait ainsi faire fléchir l’inexorable taciturnité officielle qui lui refusait l’ordre écrit qu’il sollicitait, il se trompa. Le prince Gortchakof pressa dès-lors l’hospodar de se prononcer ; il refusa même l’invitation à dîner que lui adressait Stirbey, disant qu’il ne pouvait l’accepter tant qu’il ne saurait pas s’il avait affaire a un ami ou à un ennemi de la Russie. La lettre au comte de Nesselrode fut cependant expédiée, et l’hospodar effrayé voulut alors lui en faire parvenir une seconde pour rétracter la première. Le prince Gortchakof refusa de faire parvenir cette nouvelle lettre avant que le divan ad hoc convoqué par le prince Stirbey ne se fût prononcé sur le parti à prendre[2]. La Porte prit enfin une décision. Elle permit, on le sait, aux hospodars[3] de rester tant qu’ils seraient en mesure de faire respecter les attributions essentielles de l’autorité du pouvoir suzerain. L’échéance du tribut arriva le 13 octobre. Le prince Stirbey ne paya pas et prétendit rester. Il fallut alors que la Russie intervînt, et le gouvernement du tsar dut lui donner à entendre qu’il était temps qu’il se retirât. Le prince Gortchakof, tout en lui faisant à ce sujet une ouverture non équivoque, apporta assez de ménagemens dans ses communications pour laisser à l’hospodar Stirbey les apparences de la liberté du choix. Celui-ci comprit le sens des paroles qui lui étaient adressées : il ne demanda que deux concessions, la première qu’on voulût bien soustraire encore pour quelques jours le fait de sa retraite à la publicité, la seconde qu’on lui permît de se retirer sous le prétexte d’un voyage en Autriche et en remettant provisoirement les rênes du pouvoir au conseil administratif. L’hospodar savait que l’opinion publique à Bucharest saurait gré aux Russes de délivrer la Valachie d’un gouvernement impopulaire : il voulait éviter le spectacle pénible de la satisfaction causée par son départ. Ses deux demandes lui furent accordées, et une pension de mille ducats par mois fut allouée à chacun des hospodars[4]. Le

  1. En date du même jour, le prince écrivait à Rechid-Pacha pour lui annoncer son intention de rester ; c’est du moins ce qui fut divulgué par une personne de son intimité.
  2. On sait que dans cette occasion le divan valaque n’avait aucun droit au rôle que l’hospodar lui confiait, et qu’il s’attribua sans souci pour la dignité du sultan, à qui cette assemblée se permit même de faire des représentations.
  3. L’hospodar de Moldavie avait accueilli respectueusement la sommation de la Porte, en disant seulement qu’il croyait devoir soumettre la question à un nouvel examen du gouvernement ottoman. Il finit par se retirer, mais après avoir montré plus de franchise que le prince de Valachie.
  4. Le premier terme de la pension allouée par la Russie a l’hospodar Stirbey n’échut qu’en 1854, car l’hospodar avait touché d’avance le dernier trimestre de sa liste civile pour 1853. Quelques difficultés étant survenues à Bucharest sur le mode de paiement en or ou en argent de cette pension, le prince déclara qu’il y renonçait au profit de son pays. Ce généreux sacrifice fut néanmoins sans résultat pour la Valachie, et l’hospodar, de retour à Bucharest en octobre 1854, préleva, d’après les comptes présentés au divan ad hoc en 1855, une somme ronde de 1,062,281 piastres 31 paras pour 1854, tandis que le pays n’aurait dû avoir à dépenser que 785,333 piastres 13 paras, représentant les huit premiers mois de la pension de l’hospodar en 1854 et les quatre derniers de sa liste civile.