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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/836

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Grach fait élever un parapet à soixante pas derrière celui qui existait à l’extrémité de la redoute, et sous lequel travaillaient les mineurs russes. Les deux canons furent enlevés et placés sur le nouveau parapet. Deux factionnaires voués à une mort certaine restèrent impassibles sur le parapet le plus voisin de la mine. Le 11 mai fut livré le premier assaut. La mine fit explosion, mais n’emporta que les deux factionnaires, et la colonne russe se trouva en face du second parapet, où elle fut reçue par une mitraille et une fusillade si bien nourries, qu’après un combat d’une demi-heure, elle fut forcée de se retirer avec une perte de douze cents hommes.

Le 21 mai, un second assaut fut tenté dans les mêmes conditions, et les Russes essuyèrent de nouvelles pertes, plus considérables encore que la première fois. Malheureusement la garnison de Silistrie commençait à manquer de vivres, et le bombardement, les maladies, l’avaient réduite à cinq mille hommes. On lui préparait toutefois des renforts, et c’est pendant le siège de Silistrie qu’on vit arriver à Choumla le premier noyau des cosaques ottomans. Ils étaient commandés par Sadyk-Pacha. L’histoire de cet aventureux condottiere est curieuse. Michel Chaïkoski, gentilhomme polonais, chevalier de Malte et grand propriétaire en Ukraine, avait émigré en 1831, à la suite de l’insurrection de Pologne. Il vint en France, et se mit à écrire en polonais des romans qui lui ont valu dans sa patrie le surnom de Walter Scott de l’Ukraine, dont il raconta les scènes historiques. Plus tard, il fut envoyé à Constantinople comme agent de l’émigration polonaise, s’y distingua par sa sagacité, son aptitude pour les affaires politiques, et parvint à acquérir sur les hauts fonctionnaires ottomans une influence qui ne fut pas inutile même aux ambassadeurs d’une grande puissance, qui se servirent plus d’une fois de lui. Néanmoins la protection française, qui l’avait souvent défendu contre les persécutions russes, lui fit défaut à la fin de 1850, et, pour ne pas abandonner le terrain de ses luttes et de ses succès diplomatiques, le chevalier de Malte se fit musulman sous le nom de Sadyk-Bey. Au commencement de la guerre, ce génie inventif proposa à la Porte d’organiser une légion de cosaques vieux-croyans de la Dobroudja, et d’y attirer les Polonais qui voudraient servir la cause des Turcs. Cette légion fut créée, et Sadyk-Pacha, nommé chef des cosaques ottomans. Il arriva à Choumla avec six cents cavaliers cosaques, bulgares et polonais, dont l’uniforme montrait la réunion de la croix et du croissant. Le serdar confia à Sadyk-Pacha le commandement de l’avant-garde de son armée.

Pendant que le siège de Silistrie était la principale préoccupation des généraux russes, l’armée anglo-française commençait à arriver en Turquie. Omer-Pacha souhaitait vivement de voir les troupes alliées débarquer en Bulgarie ; mais elles prirent position à Gallipoli.