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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/841

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aboutissant à Giurgevo et à Slobozie. Malgré les dispositions défectueuses prises par le général turc, un combat terrible et acharné assura l’avantage aux Ottomans, qui enlevèrent les positions russes, occupées par douze bataillons d’infanterie, huit escadrons de cavalerie, dix pièces de campagne, six pièces de gros calibre. La perte fut très grande des deux côtés. On s’était battu en quelque sorte homme à homme, pendant toute une journée, dans les gigantesques roseaux qui croissent si nombreux à Ramadan comme dans la plupart des îles du Danube[1]. À la suite de ce combat, les Russes quittèrent les positions de Giurgevo et de Slobozie. Omer-Pacha, arrivé sur le théâtre du combat après la retraite des Russes, fit immédiatement construire un pont de radeaux pour le passage de ses troupes entre Routschouk et l’île de Ramadan. Rien ne mettait plus obstacle dès-lors au mouvement des Turcs sur Bucharest. Le prince Gortchakof ne songea plus à les vaincre, mais à les retarder du moins dans leur marche. Il concentra avec beaucoup de rapidité soixante mille hommes et deux cents bouches à feu sur les hauteurs de Doya-Fratechti. Les Turcs, trop peu nombreux pour accepter la bataille, durent attendre pendant quelques jours l’arrivée de leurs renforts. C’était tout ce que voulait le général Gortchakof, qui donna ordre à son armée le 28 juillet de commencer la retraite définitive. Dans cette retraite, les Russes détruisirent les ponts sur l’Ardgis et le Sabor. Ils forcèrent l’artillerie valaque à les suivre. Cette artillerie, composée de huit pièces de petit calibre, était un don du sultan. De son côté, l’armée turque, se trouvant au complet, put s’avancer sur le territoire évacué par les Russes, et fut bientôt concentrée près de Bucharest au nombre de cent vingt mille hommes.

Avant d’entrer à Bucharest, il semble qu’Omer-Pacha ait voulu donner un grand exemple ; du moins ce n’est qu’en lui prêtant cette intention qu’on peut expliquer l’acte d’inexorable sévérité devant lequel il ne recula pas. Les brigandages et les cruautés des bachi-bouzouks avaient inspiré une véritable terreur à la population valaque, et une députation de boyards était venue prier Omer-Pacha, encore à Giurgevo, d’épargner à la principauté la présence de ces dangereux défenseurs. Leur prière fut accueillie favorablement, et l’entrée du territoire valaque fut interdite aux bachi-bouzouks ; mais en même temps le serdar ne voulait pas les laisser maîtres de la Bulgarie, presque entièrement dégarnie de forces régulières. Il fit donc, sous divers prétextes, entrer dans l’île de Ramadan plusieurs milliers des plus dangereux bachi-bouzouks, les fit entourer par l’infanterie régulière,

  1. Trois officiers anglais qui menaient bravement les Turcs furent tués dans cette affaire, — les capitaines Burke, du génie, Mommel, de l’infanterie, et Arnold, de l’armée des Indes. Ils furent enterrés dans l’île de Ramadan, sur les bords du Danube, où trois croix de bois indiquent seules la sépulture de ces nobles fils de l’Angleterre.