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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/845

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la dignité de son souverain et la sienne, il accepta le rôle qu’on lui assignait. Toutefois sa longanimité ne put le soustraire à une vive remontrance qui lui vint de Vienne, où la diplomatie, prenant sans doute les violences et les crimes commis par les Autrichiens sur les infortunés Valaques pour des crimes commis par les barbares Ottomans, s’émut et demanda au corps consulaire à Bucharest des explications en termes sévères pour les Turcs, qui assistaient l’arme au bras et assez humiliés aux exploits des Croates et des soldats du Banat. On crut même un instant à Vienne que c’étaient les malheureux soldats autrichiens qui tombaient sous le couteau des féroces Valaques, tandis que ceux-ci, battus, foulés, égorgés, n’avaient pas en Europe une voix qui s’élevât en leur faveur.

C’est au milieu des difficultés de cette situation intolérable que des dépêches de l’armée anglo-française vinrent trouver Omer-Pacha. Les alliés appelaient le serdar à faire une diversion sur le Pruth, afin d’occuper les Russes sur leurs frontières pendant l’expédition de Crimée. Omer-Pacha parut impatient d’exécuter ce plan : au fond, la tâche qu’on lui proposait lui souriait peu. Il s’agissait d’une opération des plus difficiles. Omer-Pacha n’avait pas quarante mille hommes disponibles, le reste avait repassé le Danube, et une partie avait été échelonnée sur Varna, afin d’être prête à aller rejoindre les généraux en chef de l’armée alliée devant Sébastopol. Ses troupes étaient mal vêtues, mal chaussées ; les pluies torrentielles de l’automne avaient défoncé les chemins, et l’artillerie pouvait à peine se mouvoir. D’ailleurs Omer-Pacha craignait de compromettre, en attaquant les Russes dans des conditions défavorables, la réputation qu’il s’était acquise. Il se sentait et se disait mal à l’aise pour agir au milieu des troupes autrichiennes, et l’esprit des officiers de cette armée le préoccupait et l’inquiétait. Cet esprit était presque entièrement favorable aux Russes ; la nouvelle des batailles d’Alma et d’Inkerman avait été reçue avec froideur et sans aucune marque de sympathie pour les héroïques efforts des alliés. « L’armée autrichienne, disait Omer-Pacha, n’est pas belligérante, elle n’est même pas dans une attitude hostile vis-à-vis des Russes. Ses cantonnemens ne sont pas ceux d’une armée prête à résister à un ennemi. Les troupes sont distribuées dans les villes, les bourgades et les villages, non pas stratégiquement, mais uniquement au point de vue du bien-être du soldat. Deux régimens de cosaques enlèveraient sans la moindre difficulté tout l’état-major autrichien de Jassy, feraient une razzia sur les villages, et auraient repassé le Pruth avant que les Autrichiens eussent le temps de se reconnaître. Les officiers russes viennent de Reni à Galatz passer la nuit avec leurs maîtresses ou leurs amis, et quand on demande des explications au général Augustini, qui commande à Galatz, il répond que ce