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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/86

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son activité, sa persévérance. Il maudissait les courtes journées, et quand venait la belle saison, il ne perdait pas une heure. Il aimait son métier avec passion, et les années n’avaient pas attiédi son ardeur pour l’étude. Si plus d’une fois il a livré des ébauches pour des œuvres achevées, c’est qu’il voulait agir rapidement sur l’esprit de ses contemporains, c’est qu’il voulait consacrer la mémoire de tous les morts illustres, et que les plus longues journées suffisaient à peine à réaliser sa volonté. On ne peut songer sans étonnement au nombre des ouvrages signés de son nom. Guerriers, poètes, savans, papes et rois, tous ceux enfin qui ont laissé trace de leur passage par l’action ou par la pensée, pourvu qu’ils aient rendu quelque service à la liberté, lui semblaient appelés à poser devant lui. Dès que la mort frappait un homme célèbre, dès qu’une ville reconnaissante témoignait le désir d’éterniser par le bronze ou le marbre l’image d’un grand citoyen, d’un enfant glorieux, David s’offrait à réaliser ce pieux désir. Il ne faut donc pas nous étonner que plusieurs de ses œuvres soient demeurées imparfaites dans le sens littéral du mot, je veux dire inachevées. Eût-il vécu cent ans, le temps lui aurait manqué pour mener à bonne fin, pour exécuter avec précision, avec pureté tout ce qu’il a conçu. Malgré sa persévérance, il avait entrepris une tâche au-dessus de ses forces, au-dessus des forces humaines; il embrassait trop de choses pour les étreindre sûrement. Comme il s’était donné le rôle de Plutarque, il croyait de bonne foi que tous les hommes illustres de la France lui appartenaient. L’imagination la plus active, la main la plus habile n’auraient pu suffire à cette multitude de projets. Aussi, malgré les défauts que j’ai signalés dans le tombeau du général Gobert, et que je pourrais relever dans quelques ouvrages de la même époque, l’auteur demeure pour moi un des artistes les plus éminens de l’école française. Une volonté si énergique, exprimée sous tant de formes, obtiendra toujours ma déférence.

Les statues de Jean Racine et de Pierre Corneille, qui appartiennent à des époques diverses, peuvent, comme les tombeaux du général Foy et du général Gobert, servir à marquer les transformations qui s’étaient accomplies dans sa pensée entre son retour de Rome et la fin de la restauration. La statue de Racine, qui se voit aujourd’hui à La Ferté-Milon, est une conception majestueuse et sereine. Le poète, dans l’attitude de la méditation, est enveloppé d’un manteau, comme un personnage antique. Quoique le choix du costume ne soit pas justifié, c’est à peine si l’on y pense; la beauté du visage attire et enchaîne le regard du spectateur, si bien qu’on oublie la date de la figure et l’inexactitude de l’ajustement. Tout en