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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/868

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en plus, se surcharge d’accidens de modulation et de rhythmes divers qui amènent un immense désordre dont s’effraient avec juste raison les maîtres de l’art et les princes de l’église. C’est pourtant de ce désordre fécond, où les élémens nouveaux apportés par les peuples du nord se rapprochent et se combinent d’une manière plus intime avec ceux qui caractérisent les nations de race latine, c’est du contact de la fantaisie et de l’art séculiers avec le chant liturgique que naît un art tout nouveau, l’harmonie, en même temps que la musique mesurée, qui en est la manifestation directe. Sous les différens noms d’organum, de diaphonie, qui indiquent la coexistence de deux sons d’égale valeur, de déchant (discantus), qui signale un progrès dans le mouvement des voix et comme une anticipation d’une partie sur l’autre, l’harmonie, qu’Isidore de Séville définissait déjà au VIe siècle : Harmonia est modulatio vocis, et concordantia plurimorum sonorum et coaptatio, reçoit au XIIIe siècle son premier développement, que j’appellerai son adolescence. Aux intervalles de quarte, de quinte et d’octave, employés antérieurement, on ajoute ceux de tierce et de sixte. La succession des consonnances et des dissonnances est réglée par la résolution de l’intervalle dissonnant. À la notation diffuse de Boèce, qui consistait dans l’emploi des quinze premières lettres de l’alphabet romain, à celle plus simple de saint Grégoire, qui se servit des six premières lettres de ce même alphabet, au système neumatique, mélange d’accens, de virgules et de points diversement combinés, où l’œil avait peine à se reconnaître, à ces trois manières très imparfaites d’exprimer l’intensité des sons succèdent d’abord les lignes de la portée, et puis la notation proportionnelle, c’est-à-dire un ensemble de signes dont la figure indique tout à la fois la place qu’occupe le son dans l’échelle et sa durée relative. Cette immense révolution, qui ne semble au premier abord qu’un changement de méthode, n’est rien moins que le triomphe de l’esprit séculier sur l’art religieux. Par son ignorance des lois de la prosodie latine, la foule avait troublé les rhythmes savans dont le chant de saint Ambroise était encore pénétré, elle méconnaissait chaque jour davantage le caractère respectif des huit tons de saint Grégoire, qui sont moins des échelles régulières que des formules mélodiques léguées par le polythéisme ; elle mêlait à ces nomes ou airs religieux, qui se transmettaient imparfaitement par l’enseignement oral des initiés, les modulations et les rhythmes des chansons populaires qui surgissaient alors de toutes parts. De là un désordre, une confusion, qui firent sentir à la foule la nécessité d’une règle aussi simple que son esprit. Il se trouva des hommes studieux qui répondirent à ce besoin et qui imprimèrent à l’art musical cette régularité un peu grossière que l’instinct du peuple avait déjà introduite dans le mécanisme des langues vulgaires et dans les faits de la société civile, qui