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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/880

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ducale, et une foule d’instrumentistes que la république rémunère avec munificence[1]. C’est quelques années après cette organisation qu’on voit apparaître dans nos lagunes un contre-pointiste belge, qui vint poser à Venise les bases d’un enseignement scientifique de la composition musicale.

Le 12 décembre de l’année 1527, Adrian Willaert fut nommé maître de chapelle de la basilique de Saint-Marc. Né à Bruges, dans les dernières années du XVe siècle, Willaert, après avoir étudié le contrepoint à Paris sous la direction de Jean Mouton, après avoir été pendant onze ans au service de Louis II, roi de Hongrie, était venu se fixer à Venise, où il mourut dans le mois de septembre 1563. Willaert est considéré comme le fondateur de l’école de Venise, qu’on peut diviser en trois époques, dont chacune est représentée par un artiste célèbre. Adrien Willaert et ses disciples immédiats, tels que Cyprien de Rore, son compatriote, Nicolas Vicentino, Francesco della Viola et le savant théoricien Zarlino, personnifient la première phase, — Jean Gabrieli la seconde, — et Claude Monteverde la troisième, à laquelle se rattachent Caldara, Lotti, Marcello, et les plus grands compositeurs du commencement du XVIIIe siècle.

Ce qu’on appelle dans les arts une école, c’est-à-dire un centre d’idées, de procédés et de souvenirs qui se perpétuent à travers les générations, est le résultat de deux mouvemens qui se combinent entre eux, — du mouvement général de l’esprit humain, auquel vient s’ajouter l’influence locale du pays où il se manifeste. L’Italie par exemple, tout en participant à la civilisation de l’Europe, qui est l’œuvre du christianisme, s’en distingue cependant par un caractère propre, comme Venise, au milieu de la civiltà italiana, dont elle ressent l’impulsion, conserve une personnalité saillante qu’elle imprime à tous ses actes. Je ne vous rappellerai pas ce qu’a été Venise, par quels miracles de courage, de patience et de sagacité elle s’est élevée, du fond de ces lagunes qui ont été son berceau, au premier rang des corps politiques. Elle est un des exemples les plus étonnans de la puissance de l’activité humaine, dirigée par la raison. Forte et infatigable dans la guerre, qui n’a jamais été pour elle qu’un moyen de défendre son indépendance et de protéger son industrie, calme et somptueuse dans la paix, qui est le but constant de sa politique, cette république de marchands et de patriciens, d’artistes et de diplomates, de penseurs et de poètes insoucians, a produit une civilisation éminemment originale, où la libéralité du génie hellénique s’allie au bon sens pratique des Romains. L’histoire, la politique, la science, les mœurs, la littérature et les arts, qui en sont l’expression, lui donnent

  1. Voyez l’ouvrage de Winterfeld, Johannes Gabrieli und sein Zeitalter [Jean-Gabriel et son temps), première partie, p. 33, gr. in-4o.