Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marbre est exposé à de fréquentes et cruelles blessures. Cependant je persiste à croire que le carrare convenait mieux que le bronze à l’auteur de Paul et Virginie. Son mélancolique sourire aurait pris sous le ciseau une tendresse que le métal n’a pu lui donner.

La statue de Casimir Delavigne est loin à mes yeux de pouvoir se comparer à la statue de Bernardin de Saint-Pierre. Cette infériorité s’explique par deux raisons. En premier lieu, l’auteur des Messéniennes n’offrait pas à la sculpture autant de ressources que l’historien de Paul et Virginie; en second lieu, David, entraîné par son amour de la popularité, a sacrifié les lois de l’harmonie linéaire à l’expression d’une pensée patriotique, très louable assurément, mais traduite d’une manière malheureuse. Casimir Delavigne étreint le drapeau tricolore. En sculpture, un drapeau n’a rien qui puisse plaire aux yeux, et pour la pensée, lors même qu’il s’agit de rappeler les Messéniennes, il faut trouver un autre moyen. David a voulu dire sans doute que dans Casimir Delavigne le poète lyrique domine le poète dramatique. Admettons qu’il ait eu raison, et son avis trouverait de nombreux contradicteurs; admettons que l’ode sur Waterloo, l’ode sur Jeanne d’Arc soient très supérieures à l’École des Vieillards, aux Enfans d’Edouard : est-ce un motif suffisant pour représenter Casimir Delavigne étreignant le drapeau national? Il y a dans une telle conception quelque chose qui ne relève pas des arts du dessin, et qui demande un commentaire. Or un tableau, une statue qui ont besoin d’être expliqués, qui ne s’expliquent pas par eux-mêmes, sont nécessairement mal conçus. Je n’ai pas la prétention d’indiquer comment David aurait pu révéler sa préférence pour le poète lyrique; je me borne à dire que le drapeau me semble une invention malheureuse. La tête de Casimir Delavigne, entre les mains les plus habiles, ne pouvait devenir belle; aussi je ne m’étonne pas que dans la statue qui nous occupe, elle manque de grandeur et d’harmonie. Le front, bien qu’élevé, ne laisse pas deviner une intelligence très vive; les yeux sont tristes plutôt que pensifs, les pommettes saillantes. Avec de telles données, qu’il fallait respecter, le statuaire ne pouvait composer un visage imposant. C’est un portrait fidèle, très digne d’éloges assurément, mais qui ne se recommande que par l’habileté de l’exécution. Lors même que le drapeau serait supprimé, et cette élimination donnerait à la figure une simplicité qui lui manque, cet ouvrage n’offrirait pas un bien vif intérêt. Il faut accepter les choses pour ce qu’elles sont, et ne pas chercher à les transformer. Casimir Delavigne, qui a laissé dans notre littérature le souvenir d’un homme laborieux, dévoué à l’étude, parfois ingénieux, mais toujours dépourvu de grandeur, ne se prête pas à la sculpture. De quelque manière qu’on l’envisage, on ne trouve pas