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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/97

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pays, quoiqu’on ne puisse louer le caractère libéral de leur volonté. A l’époque où ils vivaient, s’ils avaient rêvé pour la France ce que souhaitaient Turgot et Necker, ils n’auraient pas été compris. Chercher dans le passé l’image du présent, c’est la plus sûre manière de n’y rien comprendre et de le condamner injustement. Chaque siècle a son rôle, et quiconque l’oublie doit renoncer à parler des personnages historiques. L’esprit moderne vaut mieux que l’esprit du moyen âge : qui pourrait en douter, sans s’exposer à la raillerie de tous les hommes de bon sens? Cependant, pour comprendre l’esprit du moyen âge, il faut, par un effort de pensée, oublier un instant l’esprit moderne. La législation de Charlemagne et de saint Louis, qui nous semble oppressive, était libérale pour les IXe et XIIIe siècles. On peut dire, sans épigramme, qu’elle marque le progrès de la justice vers l’équité. C’en est assez pour mériter la reconnaissance de la nation. Je n’exige pas que le sculpteur chargé de composer un fronton pour le Panthéon étudie comme un historien, comme un philosophe, l’esprit du moyen âge et l’esprit moderne : son temps est pris par d’autres soins; mais les idées que je viens d’indiquer sont au fond de tous les esprits qui attachent quelque importance à la signification du passé. David, pour les mettre en œuvre, n’était pas obligé de les découvrir par lui-même. Il n’aurait eu qu’à consulter les hommes qui connaissent et savent interpréter les siècles révolus. Quelques heures d’entretien auraient suffi pour l’éclairer, pour l’édifier. Il n’a pris conseil que de lui-même, et je ne m’étonne pas qu’il se soit fourvoyé dans une question dont les termes ne lui étaient pas familiers. Malgré son ardeur pour l’étude, il n’avait pas réussi à combler les lacunes de son éducation première. Les travaux techniques de sa profession ne lui laissaient pas assez de loisir pour apprendre par lui-même ce que son père n’avait pu lui enseigner. Il embrassait avec ardeur les idées qui lui semblaient vraies, et ne prenait pas toujours le temps d’en éprouver la vérité, ou d’en mesurer la portée. Par les traditions de sa famille, par ses amitiés, il se sentait entraîné vers les principes de 89, et son admiration pour la constituante le rendait injuste et dédaigneux pour les siècles précédens.

Toutes les objections que je viens d’exposer ne concernent que la composition du fronton. Je n’ai pas essayé d’en atténuer la gravité, car lorsqu’il s’agit d’un artiste aussi éminent que David, l’extrême justice est sans dangers. Si la partie philosophique de ce grand ouvrage laisse beaucoup à désirer, en revanche l’exécution des figures étonne tous les hommes du métier par la hardiesse et la fermeté. Il n’y a pas une tête qui soit traitée avec négligence; c’est une suite de portraits excellens. Parmi ces personnages, un seul, je l’ai dit,