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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/34

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Lorsque j’habitais la Russie, j’étais encore bien jeune ; cependant je me rappelle y avoir vu plus d’un chrétien qui ne le valait pas.

« En parlant ainsi, Chouanète ne disait point la vérité, et elle le savait fort bien. C’était elle qui était la préférée de Chamyl, et elle le méritait non-seulement par l’égalité et la douceur de son caractère, mais aussi par les soins qu’elle prenait de sa personne. Tandis que Zaïdète courait dans le sérail un trousseau de clés à la main, et dans un négligé dont elle aurait du rougir, Chouanète était dès le matin dans tous ses atours, et l’élégance de son costume relevait encore l’éclat de sa beauté. »


La princesse Anne avait cru se concilier la maussade Zaïdète en faisant parvenir, à sa demande, une lettre à un médecin russe pour lui demander quelques conseils sur une maladie dont souffrait cette femme de l’iman. Le médecin répondit à la princesse en indiquant un traitement à suivre et en envoyant quelques médicamens. Pendant cette cure clandestine, Zaïdète se montra fort attentive pour les prisonnières ; mais le traitement fini, tout changea, et sa méchante humeur reprit le dessus.

Sur ces entrefaites, les deux émissaires du prince David, Mohammet et Sakhar, étaient arrivés à Dargui-Védeno, et le lendemain les prisonnières furent invitées à prendre place sur la galerie voisine de leur chambre. On leur présenta Mohammet, accompagné de son frère Hadji, et d’un certain Hassan, que Chamyl avait choisi pour représentant dans cette négociation. Zaïdète, Khadjio et quelques autres familiers de Chamyl assistaient à l’entretien. Les princesses’ apprirent alors que Chamyl exigeait 5 millions de roubles argent pour leur rachat. Elles s’empressèrent de déclarer que jamais elles n’avaient possédé pareille somme, et qu’elles étaient hors d’état de se la procurer. — Combien peut-on donner pour votre rançon ? demandèrent alors les envoyés. — Nous l’ignorons, répondirent-elles ; peut-être rien. — Zaïdète et Khadjio se récrièrent, et on montra aux princesses un numéro de l’Invalide russe où il était dit que la reine d’Angleterre venait de faire payer à un négociant une somme de plusieurs millions. — Il existe donc de pareilles sommes au monde ! ajoutait Khadjio. L’impératrice de Russie serait-elle moins riche que la reine d’Angleterre ? — L’impératrice a bien des millions, répondirent les princesses ; mais ce n’est point elle qu’il s’agit de racheter. — On a trouvé chez toi, dit encore Zaïdète, s’adressant à la princesse Orbéliani, beaucoup de lettres de change au nom de ton mari défunt. Pourquoi n’en fais-tu point usage ? — Je n’en ai point le droit, répondit la princesse Varvara, ces titres appartiennent à l’héritier de mon mari, à mon fils, encore mineur. — Ah ! s’il en est ainsi, reprit Zaïdète, nous garderons ton fils jusqu’à sa majorité. Allons, ne pleure pas ! ton petit George est un vigoureux enfant qui grandira très bien dans nos montagnes. — L’entretien en resta là,